samedi 19 mai 2007

Le diabolique carré Mabuse

Robert Rapilly a imaginé la technique de l' "origami", ressuscitant, ou "retissussant", le sens premier du textus latin, "tissu", "entrelacement". C'est lui qui a le premier proposé deux sonnets entrecroisés, ce que j'ai baptisé "schizonnets".
Voici ma dernière paire de schizonnets, utilisant une petite innovation personnelle, l'introduction de "cases noires" (plutôt blanches ici), accentuant la ressemblance avec un problème de mots croisés dont les seules définitions seraient :


Horizontalement : Sonnet

Verticalement : sonnet


c a s e l i t e r i g e c a s e l i t e n
a b i m e s u r u n e l u t a m i s a m i
s u . . . . n i t a r i m e c . . . . a l
e s . . . . e t a m o r a l e . . . . t e
l e . . . . n e c u y e r e c . . . . a p
a c . . . . o d e s a g e c i . . . . m u
t i n e l i b e r e l e m a t e c e d i r
e t e n a c e . . p a n . . o m i m e l e
r e s a m a r . . e m e . . m e s a l i s
a l a c i m e v e r e t i r e s i l e c a
l a m e s e f e d e r e l a z u r a b e t
i d u n e d i t u s e l a m e r e c a r u
s e s u r u n . . e t a . . l a n a t a r
e l e v e s a . . l a c . . e d e p o s e
s i p a r e l u r e r e v e l u r i n a l
i c . . . . e s o d i r e l o . . . . d e
j a . . . . n u s e n e r o d . . . . e s
e t . . . . e s e n e l i t e . . . . d e
n o . . . . t e l e p a t e d . . . . e m
e n e c a l e l u l a n e p o t e l e s i
m u l e v a l e t o t e r a l e m o t u s

Le sonnet vertical donne ceci :

ça se latéralise si je ne m’abuse…
cité là délicat, on usine sa muse,
pelé, menacé, nu, va, cèle la misère,
ravi si ça méduse, la tune n’obère.

final en été, le rite dévêtu s’use…
le rut acéré du rose lutin amuse.
père-sel, Eden, éloge, Royal amère,
tarin épaté, lire « gêne te lacère. »

l'an écuma Rémi, la vérité râtèle !
caramel ôté, pas à ceci, tomé zèle ?
l’ode d’olé me mesura du tel ici.

sirène remise, mal à capilotade,
le bâton été mât à milice rasade,
désuni, l’épuré sature le semis.


Et voici l'horizontal :...


ça se lit érigé, ça se lit en abîme…
sur un élu tamis ami s’unit à rime.
ça lèse ta morale, tel en écuyère
cap à code sage, ci mutine libère.

le mate ce dire tenace : « Pan, ô mime
l’ère, sa mare même ! salis à la cime,
ver étiré si le calame se fédère,
l’azur abêti d’un édit usé, la mère. »

ça ruse sur un étal : ana, ta relève ?
salace déposé si paré, l’ure rêve,
l’urina lices : ô dire l’ode Janus !

en érodés étés, en élite de note,
le pâté démené, calé, Lula népote…
le simulé valet ôtera le motus !


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L'idée du schizonnet vertical est née à la suite de la journée des livres monstres évoquée dans le précédent billet. Le graphiste Jean-Marc Scanreigh y présentait ses livres, dont celui-ci :

Il s'agit d'un petit fascicule inséré dans l'encoche d'un "fantôme", tablette de bois jadis utilisée dans les bibliothèques pour marquer l'emplacement d'un livre emprunté.

Cette idée me séduisait énormément, au point que je ne me suis d'abord pas intéressé au contenu du fascicule. J'ai ensuite découvert le titre du "récit-fantôme" sur un catalogue offert par Scanreigh, Ça matérialise si je ne m’abuse, fort proche d'un énoncé "okapi", contrainte oulipienne décrivant une alternance rigoureuse voyelle-consonne, contrainte qui est plutôt une facilité privilégiée par les "origamistes" pour composer leurs grilles croisées. Lorsque une dimension de la matrice est paire, ceci impose une répétition de voyelle ou consonne à chaque passage à la ligne, cas de plusieurs compositions de Robert et de moi, ainsi le titre fantôme aurait pu trouver place dans un texte origami.

J'ai tiqué à la notice suivante du catalogue Scanreigh, Le danger des rives attire, de Françoise Biver, qui était également le ghostwriter du récit précédent, et qui est la compagne de Scanreigh. Ce titre était cette fois sémantiquement proche de celui de la seule paire de schizonnets dont je suis fier, La décidabilité des îles amuse, la première composée avec cette innovation d'une matrice ajourée. Et la rime de ce premier vers était Mabuse...
J'avais composé cette grille en août 05, dans le cadre du projet de "disparution" imaginé par Benoît Virot, visant à noyer la parution tonitruante de La possibilité d'une île sous un flot de pastiches. Ceci m'avait inspiré l'idée d'une ILE virtuelle, dessinée par les vides d'une grille de lettres. Virot et moi avions échangé à ce sujet quelques mots sur L'île fantôme, conte de Washington Irving que nous apprécions tous deux.

Je donnais sur mon site une version à imprimer de cette "île fantôme", sur feuille A4 destinée à être pliée en 3 volets. Précisément le catalogue Scanreigh m'indique que Le danger des rives attire se compose aussi de feuillets pliés en 3 volets.

Ces coïncidences me donnèrent le 7 mai l'idée de composer une paire de schizonnets à partir de ça se latéralise si je ne m'abuse.
Ce même jour, en feuilletant mon programme de tévé TéléZ n° 1286, semaine du 5 au 11 mai, j'y vis cette grille proposée par un lecteur, Jean Ziegler, qui magnifiait ainsi sa propre initiale comme la lettre emblématique du journal.

Je me suis émerveillé de cette nouvelle collision, car Z est la 26e lettre de l'alphabet, et une des harmonies numériques ayant motivé mon ILE virtuelle était que la somme des rangs des lettres ILE est 26, alors que chaque vers de chaque sonnet totalisait 26 lettres (conséquence obligée de la contrainte okapi pour des alexandrins à rime féminine).

Ma manie numérique m'a conduit à calculer les valeurs du nom Françoise Biver, soit 90-56. C'est encore un nom doré, et qui se superpose exactement à celui de Girolamo Cardano, que je devais calculer quelques jours plus tard après avoir découvert la même propriété pour sa version française, Jérôme Cardan. Ceci expliquera pourquoi la version imprimable de mes schizonnets se trouve ici :
http://remi.schulz.perso.neuf.fr/216/girolamo.rtf
Comme vu dans le billet précédent, l'oeuvre majeure de Cardan est Ars magna, anagramme d'anagrams, et l'une des moindres propriétés d'une paire de schizonnets est que l'un est l'anagramme parfaite de l'autre.

Palmes d'or à Anne

Mon billet nombre & nom a donné lieu à de tels développements que j'en ai fait une page sur mon site. Il y est notamment question de deux artistes au nom doré qui ont formé un couple fameux, Hans Bellmer et Unica Zürn. Mon intérêt pour les anagrammes d'Unica Zürn m'a fait passer par des sites allemands sur le sujet, et découvrir ainsi l'un de ces prodiges anagrammatiques qui ravissent les amateurs :
PAMELA ANDERSON a pour anagramme DAS PAAR MELONEN, soit "La paire de melons".
Le développement mammaire de Pamela, à vérifier ci-dessus, est assurément l'un des plus célèbres de la planète (record de 12 couvertures pour Play Boy). Et l'anagramme révélatrice apparaît en allemand, où "être", "exister", se dit sein.
J'ai fait part de cette belle adéquation à la liste Oulipo le 10 mai, et certains de ses membres se sont pris au jeu de trouver d'autres anagrammes de la surdouée des bulbes, jusqu'à composer des poèmes acrostiches avec ces anagrammes, voire des palindromes...
Au cours de ce déferlement il me vint l'idée de calculer la valeur de ces 14 lettres, soit 138, ce qui me donna une idée. Ma compagne allait fêter un anniversaire spécial dans quelques jours, le 18 mai qui est le 138e jour de l'année, et il y avait déjà plus d'une centaine d'anagrammes postées sur la liste. Un cadeau pourrait être une série de 138 anagrammes augmentée d'une anagramme du nom de la destinataire, ce qui en tout donnait un nombre de lettres correspondant à l'année de sa naissance...
Ce qui fut fait, avec quelques nouvelles jolies collisions.

Ainsi la dernière trouvaille, juste avant l'impression du document final, y donna son titre et celui de ce billet, Palmes d'or à Anne : mon amie Anne-Marie signe ses oeuvres de seulement ANNE. L'actualité souligne de plus qu'il ne manque qu'un C à PAMELA ANDERSON pour être PALME D'OR A CANNES. Et Cannes fête cette année le même anniversaire qu'Anne.
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Le hasard avait voulu que quelques jours plus tôt, le 2 mai, j'assistasse à la journée des livres monstres, organisée par Etienne Cornevin à Saint-Denis. Benoît Virot y présentait notamment Ramon Gomez de la Serna, auquel il avait consacré un dossier dans le n° 4 du Nouvel Attila, Ramon qui fut le premier en 1917 à baptiser un livre Seins (ou Seños en l'occurence).
Il me vint que RAMON DE LA SERNA était à 1 lettre près, un R au lieu d'un P, PAMELA ANDERSON, ce qui m'inspira la série :
Drama en español :
¿ Ampon de la Serna ? .
¡ Ramon del España ! . .

Dans le dossier du n° 4 d'Attila figure un article sur les Livres seins, occupant les trois colonnes de la page 16, accompagné d'une sénographie en 3 tableaux dont deux médaillons, nombre et forme choisis à desseins probablement (ci-contre celui de Labisse).
Page 17, en vis-à-vis, figurent deux articles, Ramon à corps & à cris, sur deux colonnes, et Le roman de Ramon, sur une colonne (pour qui ne l'aurait pas remarqué, "roman" est l'anagramme de "ramon").
Et voici le plus beau. Cette page ne propose qu'une illustration, Die Tänzerin (aquarelle de Nolde), à laquelle se superpose la ligature (ou esperluette) & du titre. Or il s'agit encore d'une anagramme de Pamela Anderson, ou mieux de Das Paar Melonen sur cette image germanique, car, comme l'a vu Patrice, un des contributeurs de la liste Oulipo :
& se dit en anglais ampersand, et une esperluette seule est donc une
ampersand alone !
Le nom du peintre permet un autre jeu :
Nolde pensa à Pam (avec un P au lieu d'un R)
pourrait complémenter
Ramon de la Serna (qui a un R au lieu d'un P)
Lors de la journée monstre, l'intervention de Virot sur Ramon de la Serna fut immédiatement suivie par celle de Jean Dupuy, anagrammiste notoire. Selon sa pratique particulière de l'Ars Magna, cette paire complémentaire serait tout à fait valide.
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Pam et Serna conjugués forment le mot "parmesan", et la première anagramme incluant ce mot qui me vint à l'esprit fut
Parmesan de Nola
Je ne connais Nola que parce que Jérôme Cardan y est né. Le parmesan est aussi l'habitant de Parme, et ma page précitée évoquait la possibilité, envisagée par d'autres, d'un rapport du titre "53 jours" de Perec, officiellement le temps que Stendhal aurait mis à écrire La Chartreuse de Parme, avec d'autres 53 jours liés à un événement dramatique de la vie de Cardan. Si rien d'historique n'associe particulièrement le nolain à Parme, l'hypothèse littéraire ci-dessus me suffit pour identifier au Parmesan de Nola Cardan, dont l'oeuvre mathématique majeure est le traité Ars Magna, ce que les anglais anagrammatisent en anagrams.
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La torturante question -Pourquoi les 14 lettres de cette nénette siliconée recèlent-elles tant de prodiges ? - trouva sa réponse en sanskrit :
réponse : mandala
Le mandala, c'est le "cercle", mais c'est aussi une représentation symbolique du monde, en cercle ou en carré.
Puisque le nombre d'or m'avait amené à Das Paar Melonen, je pensais à Penrose et à ses pavages non périodiques composés de deux uniques pièces, les losanges d'or (d'angles aigus de 36° et 72°). Ces pavages sont proches des mandalas, et mandala Penrose constitue encore une anagramme des 14 lettres fatidiques, si bien que j'ai décidé d'inscrire mes 138 anagrammes sur un fond de pavage Penrose.
On trouvera ces anagrammes ici, sans le pavage de fond. Je rappelle qu'une grande partie provient de colistiers que je remercie : Alain, Annie qui n'est pas naine, Elisabeth dont les habiletés sont connues, Etienne (et ce billet enfreint la recommandation Pas d'amoral néné), 2 Jacques, 2 Patrice (l'autre a aussi son site), Pierre...