dimanche 16 septembre 2007

Compte d'été

13 septembre : Arte diffusait Conte d'été qui me semblait un Rohmer intéressant par son double rapport à Pauline à la plage, le soleil balnéaire et le retour de l'actrice qui jouait Pauline, Amanda Langlet.









La voici donc en Pauline, à 15 ans, puis à 28 ans en Margot.Je me suis souvenu avoir déjà regardé le début de Conte d'été lors d'une lointaine diffusion, et n'avoir pas supporté bien longtemps sa lenteur à démarrer.
Peut-être mon désintérêt d'alors avait-il eu pour cause une construction selon le nombre d'or, imposant un retard considérable à tout ressort dramatique essentiel, en tout cas c'est à cause du nombre d'or suspecté dans plusieurs films de Rohmer que je regarde désormais ses films jusqu'au bout, et celui-ci me semble particulièrement significatif (soit dit en passant que je ne vois pas du nombre d'or dans tous les films de Rohmer et que je m'abstiens de parler des autres).
Donc celui-ci est logiquement prédestiné à une construction d'or par son sujet, un gars hésitant entre trois filles, lesquelles entrent successivement en scène, or les deux sections d'or d'une quantité quelconque (1) la partagent en trois parts inégales (0.382-0.236-0.382), et ceci correspond remarquablement au découpage du film selon les entrées en scène des demoiselles.
Je n'étais pas très sûr de mes chronométrages, fort heureusement cette page non seulement donne les durées précises de chaque séquence du film, mais de plus donne la division conçue par Rohmer lui-même en 18 séquences, idéalement réparties selon ce schéma en 7-4-7, bien que leurs durées soient très variables (de 2'40" à 12'44").
Voici donc les résultats :
1e partie: Margot, 7 séquences totalisant 42'12" (41'28" serait la durée idéale calculée d'après les 108'33" des 18 séquences, sans les génériques)
2e partie: Solène (+Margot), 4 séquences totalisant 25'44" (25'37" idéal !)
3e partie: Léna (+Margot+Solène), 7 séquences totalisant 40'37" (41'28" idéal)

Nous sommes donc fort proches (44, 7 et 51 secondes) des durées idéales, et ces calculs donneraient de meilleurs résultats encore en prenant en compte le générique de fin, lequel est un point d'orgue à valeur émotionnelle certaine, tandis que celle du générique d'introduction est nulle.
Un autre élément essentiel est la présence d'Amanda Langlet, dont l'amourette de Pauline à la plage se déroulait presque exactement entre les deux sections d'or du film.
Dans Conte d'été, c'est précisément entre ces deux sections que sa nouvelle incarnation, Margot, se sent rejetée par Gaspard. Dans la (longue) première partie, leur amitié a évolué vers le flirt; bisous et attouchements divers sont échangés lors de leur dernière promenade... Puis c'est la rencontre de Solène, bien plus directe, la gêne de Gaspard lorsque, en sa compagnie, il rencontre Margot, la scène que lui fait-celle ci dès qu'ils se retrouvent en tête-à-tête. Gaspard parvient cependant à la raisonner et à confirmer leur statut d'amis à la fin de cette seconde partie.
Puis arrive Léna, et Gaspard a tant de problèmes avec les exigences de Léna et de Solène que la meilleure solution lui apparaît en Margot. Hélas entretemps celle-ci a eu des nouvelles de son ami aux antipodes, il revient bientôt, et Gaspard quitte les trois filles sans qu'il soit question de relations ultérieures...
Les durées des 3 parties et la particularité du choix d'Amanda Langlet sont donc des éléments essentiels qui m'amènent à une conviction de mieux en mieux établie du rôle du nombre d'or dans l'architecture des films de Rohmer. J'étais jusqu'ici hésitant parce que certaines harmonies que j'avais décelées ne semblaient guère intentionnelles, et puis j'ai découvert que Rohmer s'était exprimé sur le nombre d'or chez Eisenstein, qu'il avait eu toutes les chances de connaître dès 1968 les théories de Guy Mourlevat sur le nombre d'or à ND du Port, l'église magnifiée dans Ma nuit chez Maud, et maintenant ces nouvelles harmonies convergentes.


Les noms présents dans Conte d'été semblent encore significatifs, peut-être même un peu trop.
Ainsi Gaspard rencontre Margot à la crêperie du Clair de Lune, à Dinard, où elle est serveuse, tandis qu'il a profité du hasard de pouvoir disposer de la chambre d'un ami à Dinard, proche de Saint-Lunaire où il sait devoir passer sa connaissance Léna. Entre ces deux LUNE des 1e et 3e parties vient Solène, au nom SOLAIRE, surdéterminé par sa domiciliation à Saint-Malo (du celtique mach lou, "gage de lumière").
Margot peut trouver une raison immédiate avec la chanson Santiano d'Hugues Aufray, que Gaspard et Solène chantent ensemble, où le marin prend la mer pour de longs mois en laissant sa Margot à Saint-Malo, mais Margot est encore le diminutif de Marguerite, possible allusion au hasard auquel se fie Gaspard pour organiser sa vie (d'où peut-être l'origine de son prénom, Au hasard Balthazar étant déjà pris). Je t'aime, un peu, beaucoup...


A un niveau plus élaboré encore, la marguerite est une composée dont le nombre de pétales ne doit en fait rien au hasard: c'est, pour une fleur intacte du moins, un nombre de la suite de Fibonacci, intimement liée au nombre d'or. Si les pétales sont difficilement dénombrables sur une photo, j'ai emprunté au splendide site de JP Dalavan cette photo d'un coeur de marguerite où les capitules forment 34 spirales dextrogyres et 55 spirales lévogyres, deux nombres de Fibonacci dont le rapport donne une excellente approximation du nombre d'or.

Par ailleurs la fleur la plus souvent citée en exemple des spirales d'or végétales est le tournesol ou soleil...
Admettre que Rohmer ait effectivement utilisé le nombre d'or dans Ma nuit chez Maud, Pauline à la plage et Conte d'été risquerait d'émousser mon intérêt pour ses films, puisque, nombre d'or ou pas, ils m'ennuient le plus souvent. Enfin il faut croire que j'aime m'ennuyer...
Mais il y a les coïncidences reliées au nombre d'or, dont j'ai donné des exemples pour les films précédents, et Conte d'été n'en est pas exempt.

Ainsi c'est un film que Rohmer a tourné en format 1.66, format que les lecteurs de DVD transforment en quelque chose de très proche du rectangle d'or (1.618), ce que j'ai découvert en regardant le DVD Pauline à la plage, film reformaté dans des conditions encore non éclaircies car il a été tourné en format 1.375 (lequel devient en principe 1.33 en cassette et DVD).

C'est sur ma vieille TV à écran 4/3 (ou 1.33) que j'ai regardé Conte d'été, au format 4/3 alors qu'il est fréquent que les films soient diffusés en respectant au mieux leur format originel. Ainsi j'ai vu en format d'or Pauline destinée au 4/3, et en 4/3 Margot destinée au format d'or... Arte propose sur son site commercial Artevod de télécharger divers films de Rohmer, et c'est sur ce site que j'ai copié les deux images de Pauline et Margot présentées au début du billet, toutes deux en 4/3.
Je n'ai pas téléchargé les films pour voir leur format réel, mais ceci m'a au moins permis de découvrir des images de Pauline au format originel (ou à peu près), et d'éclaircir un petit peu la question épineuse du passage au format 1.66 en retrouvant l'image correspondante sur le DVD. Ce n'est pas moins de 3 manipulations qui ont permis ce reformatage, ainsi, pour cette image:

[Attention ! ce qui suit est erroné du fait que l'image donnée au début du billet n'est pas une image de la pellicule originelle mais un autre recadrage ! Je crois avoir trouvé de bonnes images que j'analyse ici.]

- un rognage sur le haut
- l'apparition sur la gauche d'une portion d'image originellement absente (je me perds en conjectures sur ce point!)
-l'élargissement anamorphique de l'image, d'environ 5%

Je le présumais, encore fallait-il le vérifier. 5% ce n'est pas rien (l'écart maximal à l'idéal d'or dans Conte d'été est de 2%), et il me semblait bien que les personnages de Pauline ne manquaient pas d'épaisseur, sauf lorsqu'ils étaient couchés.
C'est plutôt révoltant, quand on pense aux sacrifices que s'imposent nos starlettes pour garder la ligne. En fait cette déformation est observée par rapport au format 1.33, lui-même probablement déformé par une anamorphose inverse à partir du format de tournage 1.375 (soit environ -3%), mais il faut comparer ce qui est comparable et les amateurs de vidéo découvriront Arielle Dombasle et Amanda Langlet plus épaisses de 5% dans Pauline que dans les films tournés en 1.375...
C'est un brin compliqué, et j'attends de meilleures informations de quiconque aurait quelques lumières sur la question, qui a son importance, car si, comme je le soupçonne, le passage du 1.375 ciné au 1.33 TV est opéré par anamorphose plutôt que par rognage, alors le plan fixe du prêtre disant la messe à ND du Port dans Ma nuit chez Maud est-il originellement plus parfaitement doré que ce que j'ai envisagé dans mes billets précédents.

J'espère donc avoir l'occasion de revenir sur cette question des formats, et je veux encore évoquer un point qui pourrait donner écho à mon billet précédent, sur les spirales fibonacciennes ou gidouilles pataphysiques.
Conte d'été est centré sur Dinard, or j'ai en ma possession un petit carnet de photos prises à Dinard par Raymond Hains, carnet diffusé lors d'une exposition chez Agnès b. J'ai montré l'une de ces photos sur une page consacrée à une invraisemblable accumulation de coïncidences concernant notamment le cinéma d'Hitchcock (adulé par Rohmer) et le prénom Margo.
Toujours est-il que Hains semble avoir été fasciné à Dinard par un snack-bar, et plus particulièrement par les gidouilles décorant sa marquise. Les voici sur la double page centrale du cahier: Je signale encore que l'article de Denise Védy sur les spirales végétales, mentionné dans mon dernier billet, s'intéressait à la fleur de la marguerite.

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