lundi 9 juin 2008

Le mystère du mystère

Je reviens sur la novelette Le mystère de la chambre 813, de William Irish, parue en 1982 chez Néo dans le recueil homonyme, traduite par Gérard de Chergé, rééditée ultérieurement dans le recueil Irish Revolver chez 10/18. Les deux éditions lui donnent pour titre original Mystery in Room 813, alors que c'est un Mystery in Room 913 que Cornell Woolrich (alias Irish) a originellement proposé aux lecteurs de Detective Fiction Weekly en juin 1938.
Il pourrait y avoir une explication triviale, le numéro de la chambre indiquant l'étage où elle se trouve, or le 9th floor d'un immeuble américain est pour nous un "8e étage", mais, si ceci a pu fournir au traducteur une raison seconde, il me semble que la raison première de la modification a été qu'il venait de se créer en France en 1980 l'association 813 des Amis de la Littérature Policière, dont Gérard de Chergé était un des premiers adhérents (sous le n° 41). Que ce soit lui qui en ait eu l'idée ou le responsable de ce choix de nouvelles d'Irish, Stéphane Bourgoin, également membre de 813, il me semble évident que la traduction de 913 en 813 est une allusion à l'association, laquelle a d'ailleurs accordé cette année-là au Mystère de la chambre 813 le Trophée 813 de la meilleure nouvelle.

Si le passage de 913 à 813 peut se justifier, la mention du titre original est une vraie trahison, qui n'est peut-être pas due au traducteur, tant il y a d'étapes dans la publication d'un livre.
Ainsi, j'ai découvert cette curiosité en lisant une exégèse de l'oeuvre d'Ellery Queen, lequel a écrit une nouvelle (Cold money, en français L'argent qui dort) se passant dans la chambre 913 de l'hôtel Chancellor. Le détective de l'hôtel y joue un rôle, ce qui fait dire au commentateur qu'il s'agit d'un hommage à la nouvelle d'Irish qui se passe dans la chambre 913 de l'hôtel Saint-Anselm dont le détective est le personnage principal, et ce qui m'a fait m'interroger: y avait-il deux nouvelles d'Irish, une dans la chambre 813, une autre dans la chambre 913 ?
J'ai donc découvert ce qu'il en était, et mes efforts pour découvrir une hypothétique parution anglaise sous le titre Mystery in Room 813 m'ont amené à une curiosité: un fait divers dans la chambre 813 d'un hôtel de Los Angeles, occupée par une jeune femme retrouvée morte 104 pieds sous son balcon, au matin du 13 novembre 1996. Le locataire de la chambre voisine a été soupçonné, inculpé, et innocenté après un procès en 2003.
Ce fait divers a donné lieu à un téléfilm US, sous le titre Mystery in Room 813, or la nouvelle d'Irish a justement pour sujet une étrange série de défenestrations de la chambre 913 originale, ou 813 en français. Ceci ne peut constituer une coïncidence notable que si les Mystères de la chambre X ne prolifèrent pas, et une requête "mystery in room" ne livre après analyse que peu de résultats, concernant essentiellement 3 oeuvres:
  • le téléfilm Mystery in Room 813, qui arrive en premier.
  • un roman pour jeunes, Mystery in Room 512.
  • et le Mystery in Room 913 de Woolrich/Irish.
Les divers autres résultats, ponctuels, ne concernent pas des titres d'oeuvres.
Je remarque que la chute (réelle) de la chambre 813 s'est passée une nuit du 12 au 13, alors que la seule date précisée du Mystère de la chambre 813 est celle de la troisième chute, dans la nuit du 12 au 13 juillet 1935.
La nuit du 12 au 13 est le titre d'un roman de Steeman.

Et puis il y a Truffaut.
J'ai déjà indiqué que je ne savais pas s'il avait connu la parution de ce Mystère de la chambre 813 quelques mois avant le tournage de Vivement dimanche !, fin 1982, mais qu'il n'avait nul besoin de cette connaissance pour fourrer une chambre 813 dans son film, attendu qu'il y a déjà trois autres chambres 813 dans ses films antérieurs, sans parler des multiples autres manifestations de son tic 813.
Ce qui est certain, c'est que Truffaut n'a pas pris la peine de relire le roman de Charles Williams Vivement dimanche ! avant d'accepter l'idée de son assistante de l'adapter, ce qu'il a regretté ensuite. Et ce qui est non moins sûr, c'est qu'il y a un (petit) mystère dans la chambre 813 de l'hôtel Garibaldi, où Fanny Ardant vient passer la nuit pour enquêter. Alors qu'elle dort, un individu entre par effraction dans la chambre, il y a lutte sur le balcon, au-dessus du vide, mais l'homme parvient à s'enfuir, abandonnant un pan de sa veste dans lequel Fanny découvrira sa carte de visite, c'était le détective Lablache.
Un autre détective dans une autre chambre 813, mais ces éléments étaient présents dans le roman de Williams (où la chambre n'avait pas de numéro, s'il est besoin de préciser).
Le film de Truffaut est sorti en salle le 10 août 1983; je remarquais que c'était la seule année comportant les chiffres 8-1-3 où il pouvait raisonnablement sortir un film, et je m'aperçois maintenant que l'année permet aussi de construire 9-1-3, et que la seule autre année du siècle permettant cette dualité est 1938, l'année où est parue la nouvelle originale Mystery in Room 913, où apparaît aussi une chambre 813 lors de l'interrogatoire des voisins (devenue 713 dans la version française, évidemment).
Je rappelle que Charles Williams comme Alfred Hitchcock sont natifs du 13 août, du 8/13 à l'américaine, et que le Hitchcock préféré de Truffaut était Fenêtre sur cour, adapté d'une nouvelle de Irish présentant des points communs avec Mystery in Room 913. Un apprenti détective persiste à imaginer un crime, malgré l'enquête de la police officielle, et les deux nouvelles s'achèvent sur la défenestration du coupable.
La nuit du 12 au 13 août 83, Truffaut n'est pas passé par la fenêtre, mais a ressenti les premiers symptômes du mal qui allait l'emporter un an plus tard.

J'ai voulu laisser le mot de la fin à Irish, avec la dernière phrase de sa nouvelle.
Le détective Striker a été licencié de l'hôtel Saint-Anselm, parce qu'il s'obstinait à voir une volonté malveillante dans les 4 chutes de la chambre 813. Il revient grimé l'année suivante et loue la chambre 813 sous une fausse identité, ce qui lui permet d'éclaircir le mystère. C'est le locataire de la chambre 809 qui avait imaginé un piège diabolique : lorsque la fenêtre de la chambre 813 était ouverte, il avait trouvé un moyen de déplacer le lit, si bien que la porte-fenêtre au balcon dangereux remplaçait la porte du cabinet de toilette...
Au cours de la lutte entre les deux hommes, le meurtrier tombe à son tour et s'écrase 8 étages plus bas. C'était un sociopathe, haïssant ses semblables à la suite d'une affaire de terrain aurifère acheté en Ontario, s'étant avérée ensuite une escroquerie. Dans l'épilogue de la nouvelle, le flic qui s'obstinait à voir des suicides dans les défenestrations à répétition de la chambre 813 remarque que les journaux signalaient la veille la découverte de gisements pétrolifères en Ontario, et qu'il se pourrait que le terrain du fou soit concerné.

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