mercredi 15 octobre 2008

Le domaine d'Azazel

J'ai découvert récemment Boris Akounine, qui concerne particulièrement mon autre blog Quaternité.
La première édition française de son premier roman, Azazel, a en couverture une illustration que j'ai aussitôt reconnue, empruntée au Voyage au centre de la terre de Verne, source d'une fantastique coïncidence qu'il faudra un peu de patience pour découvrir.
La maquette de cette première édition française des aventures d'Eraste Fandorine est imitée de la maquette de l'édition originale russe. Le principe paraît être de donner une illustration d'époque, sans plus, car après lecture du roman il me semble que ni la couverture russe, ni la couverture française ne peuvent prétendre illustrer, ne serait-ce que vaguement, un quelconque chapitre du livre.

Voici donc restituée la gravure originale de Riou dans son intégralité, grâce à ce site indispensable donnant toutes les illustrations des Voyages Extraordinaires.
Je suppose que ces illustrations sont désormais dans le domaine public et libres de tout droit, mais je suis indigné de voir cette gravure reprise sans indication ni de son auteur ni de son origine.
Dans son contexte, elle montre le professeur Otto Lidenbrock et son neveu Axel découvrir dans les profondeurs le corps fossilisé d'un "homme du quaternaire".

J'ai déjà eu l'occasion de parler du Domaine d'Ana, roman de Jean Lahougue (1998) paraphrasant dans le domaine du langage le Voyage au centre de la terre.
Non content de reprendre le style, les personnages et les grands traits de l'intrigue de Verne, Lahougue a parodié les illustrations du roman, ainsi l'illustration ouvrant le Domaine semble particulièrement inspirée par la gravure de Riou en question. Selon les contraintes graphiques définies par Lahougue, cette illustration est reprise à petite échelle dans chacune des 15 autres illustrations du livre, et ces 15 illustrations mises côte-à-côte forment un carré lui-même anamorphose de l'illustration initiale.

L'incipit (la première phrase) du Voyage au centre..., qu'on trouve in extenso ici, est :
Le 24 mai 1863, un dimanche, mon oncle, le professeur Lidenbrock, revint précipitamment vers sa petite maison située au numéro 19 de Königstrasse, l'une des plus anciennes rues du vieux quartier de Hambourg.

L'incipit du Domaine d'Ana, in extenso ici, est :
Le 23 mai 1991, un samedi, mon oncle, le professeur Brideuil, qui d'ordinaire s'endormait insensiblement dès les premières pages de notre lecture vespérale, perdit pied moins vite que les autres soirs.

L'incipit d'Azazel, in extenso ici, est :
Le lundi 13 mai 1876, vers trois heures de l'après-midi, (...)

Lahougue a calqué son incipit sur celui de Verne. Il a choisi de débuter son récit le 23 mai (d'une année palindrome) parce que 23 est le numéro du chapitre central du Voyage... et la somme de 8 et 15, les nombres structurant son livre en 15 chapitres dont le médian est le 8e. Le 24 mai de Verne étant un dimanche, Lahougue a décrété que son 23 mai serait un samedi, alors que c'était en 1991 un jeudi.

Akounine n'avait aucune raison de se référer à Verne en commençant son récit le 13 mai julien, soit le 25 mai de notre calendrier grégorien (la correspondance entre les deux calendriers est ensuite donnée lorsque son héros s'en va à Londres), puisque son roman n'avait originellement aucun rapport avec le Voyage au centre..., ce rapport étant apparu avec la couverture de l'édition française.
Alors qu'il semble avoir étudié soigneusement les calendriers des années où se déroulent ses romans ultérieurs, Akounine s'est planté ici car le 13-25 mai était un jeudi en 1876.
Azazel est paru en Russie en 1998, la même année que Le domaine d'Ana, ainsi la même année a vu paraître deux livres reliés au Voyage au centre... de Verne, lequel débute un dimanche 24 mai, et ces deux livres débutent un samedi 23 mai et un lundi 25 mai, alors qu'il s'agit d'erreurs dans les années concernées !
L'édition originale illustrée du Voyage au centre..., offrant donc pour la première fois les illustrations de Riou, est datée du 13 mai 1867 !

Voilà donc pour ce qui concernait la coïncidence entre les 3 livres.
Un nouveau parcours du Voyage au centre... m'a permis de relier ce billet au précédent de ce blog, et à Quaternité, née justement après ce billet sur le mandala, caractérisé par l'île ronde Théra, dont l'ancien nom est Strongyle.
Les explorateurs reviennent à la surface du globe à la faveur d'une éruption du Stromboli, à 1200 lieues de l'Islande où ils avaient entamé leur périple. Or l'île Stromboli, rappelle Verne, c'est
l'ancienne Strongyle, où Eole tenait à la chaîne les vents et les tempêtes.

Il y a ainsi deux antiques Strongyle, l'une rebaptisée Théra, ayant perdu sa rondeur après le cataclysme, et Stromboli, dont le nom s'est déformé au cours des âges. Des abîmes encore plus vertigineux que les cavernes de Jules s'ouvrent encore, car :
- je donnais dans le billet précédent les anagrammes THERA-HEART-EARTH, or on arrive ici à l'autre Strongyle après un voyage au "coeur", HEART, de la "terre", EARTH.
- cette autre Strongyle est selon la mythologie le coeur d'un modèle "crucial" de quaternité, les 4 vents, équivalents dans maintes traditions aux 4 directions.
- je reliais dans divers billets les mots Ana et Anar, or cette page indique que Tolkien aurait désigné dans son Seigneur des Anneaux le Stromboli par l'expression Emyn Anar (qui signifierait "montagne du destin").