mercredi 23 juin 2010

le pommadé dévoilé

Il est plutôt nécessaire d'avoir lu le billet précédent avant d'aborder celui-ci, qui en prolonge quelques points et aborde ensuite ses oublis.

Je dois aborder d'emblée un point extrêmement complexe, dont la suite dépend quelque peu. Il a été vu que Perec comme l'auteur du Grand Parchemin ont utilisé la polygraphie du cavalier, en prenant pour point d'origine la case 6,6 selon leurs notations respectives.
Perec a gardé le secret sur les motifs qui l'avaient fait débuter par cette case 6,6, à laquelle un domino double-six sur un porte-clé fait allusion; de semblables jalons apparaissent dans chaque chapitre, permettant de baliser la progression du cavalier dans l'immeuble découpé verticalement en 10 niveaux (avec curieusement une notation inversée, de 1 pour le dernier étage à 10, noté 0, pour les caves), et horizontalement en 10 lieux (essentiellement des pièces, mais aussi des paliers, par exemple).
10 x 10 = 100, mais Perec a choisi de perturber son système en oubliant une case dans le parcours du cavalier, celle correspondant au coin inférieur gauche de l'immeuble. Il se trouve que ses coordonnées sont 0,1 et qu'il s'agit de la 66e position du cavalier, ainsi ces deux cases correspondant à des choix sont donc le chapitre 1 de coordonnée(s) 66 et le chapitre 66 de coordonnée 1.
Si les solutions de la polygraphie du cavalier sont connues pour un échiquier normal, Perec a dû trouver lui-même une solution pour un échiquier de 10 x 10 :
J'y suis parvenu par tâtonnements, d'une manière plutôt miraculeuse.
Il est probable qu'il ait commencé par la case finale, le chapitre 100 (en fait 99 puisqu'un chapitre n'a pas été écrit) de coordonnées 6,1, le bureau où Bartlebooth meurt, au bout de son appartement. On sait au moins que Perec a trouvé plusieurs parcours, et qu'il a choisi celui permettant de commencer sur le palier de Bartlebooth.
Peut-être fait-il aussi partiemerci et chapeau bas du miracle d'avoir eu ce coin 0,1 en position 66, à partir d'un départ en 6,6, et est-ce la décision du second choix de Perec pour "l'erreur dans le système", principe de base oulipien, quoi qu'il en soit il résulte de ces choix que ces trois chapitres spéciaux, premier, dernier et inexistant, correspondent à 3 des 4 sommets d'un rectangle dans le carré de l'immeuble; j'en ai matérialisé deux côtés par deux lignes rouges continues ci-dessus, les deux autres par des lignes discontinues, reliant l'autre coin, de coordonnées 0,6.

Il se passe quelque chose de curieusement similaire pour le Grand Parchemin, où il y a aussi des "erreurs dans le système". Je rappelle que son décryptage passe par 4 étapes :
- extraction des 128 lettres du code, en deux séries de 64 encadrant la formule en clair AD GENESARETH; ces lettres sont insérées régulièrement toutes les 6 lettres dans une recension latine de Jean 12,1-11, parfois quelque peu malmenée;.
- application successive de deux clés de Vigenère, l'une de 128 lettres correspondant à l'épitaphe de la stèle + PS PRAECUM, l'autre de 8 lettres, MORTEPEE, les lettres bizarres de la stèle;
- disposition des deux séries de 64 lettres sur deux échiquiers, et lecture selon la polygraphie du cavalier, en l'occurrence le premier parcours fermé découvert par Euler; la case de départ du premier échiquier est 6,6, le parcours du second échiquier est le reflet du premier (miré dans le lac de Génésareth ?), débutant donc en 3,6.

Dans son analyse détaillée de l'élaboration du "parchemin", Mariano Tomatis note de nombreuses erreurs dans la recopie du texte latin original, certaines omissions pouvant être volontaires, pour parvenir à un total de 846 lettres apte à recevoir les 140 lettres additionnelles. Plus curieusement, il y a trois erreurs dans les lettres du code, difficilement imputables à des confusions puisque ce sont les lettres OHX qui ont remplacé les lettres EFT, pas vraiment ressemblantes, surtout dans l'onciale employée pour le parchemin. Dans les décodages proposés par Cherisey dans Circuit comme dans Pierre et Papier, les erreurs sont présentes, mais conduisent sans explication à la fameuse formule :
BERGERE PAS DE TENTATION QUE POUSSIN TENIERS GARDENT LA CLEF PAX DCLXXXI PAR LA CROIX ET CE CHEVAL DE DIEU J’ACHEVE CE DAEMON DE GARDIEN A MIDI POMMES BLEUES
alors que le déchiffrage réel du code mènerait à
BERGETE PAS DE TENTATION QUE POUSSIN TENIERS GARDENT LA CLEF SAX DCLXHXI PAR LA CROIX (...)
qui n'est plus l'anagramme de l'épitaphe. Le décryptage habituel ne repose donc sur aucun document connu, vrai ou faux.
Philippe Duquesnois a vu que les "erreurs dans le système" ne semblaient pas quelconques. Les deux premières erreurs sont consécutives, et encadrent le premier mot de 6 lettres du texte source réalisant cette possibilité.
Avec un petit coup de pouce du copiste, qui a une fois inséré une lettre de code après un saut de 7 lettres, au lieu de 6, dans le texte source de Jean 12. Ce mot MARTHA est souligné ci-dessus en rouge sur la ligne du bas correspondant à la source, les lettres additionnelles du parchemin OH (au lieu de EF) sont soulignées en bleu sur la ligne du dessus, la ligne intermédiaire étant sa transcription (empruntée à l'étude de Mariano).
Il n'existe ensuite qu'un seul autre mot de 6 lettres avant lequel est insérée une lettre, au prix d'une légère modification du texte source, dont un mot de deux lettres a été omis. La 62e lettre insérée, X (au lieu de T) vient juste avant le mot de 6 lettres VENIIT, mais ici le copiste a rassemblé les deux I de ce mot en un seul glyphe, si bien qu'il vient une autre lettre du texte source, T, avant la lettre du code suivante, G, correcte.
Ainsi les erreurs bornent les seuls mots de 6 lettres du texte actualisant une rare possibilité, avec une curieuse circonstance, le second mot de 6 lettres n'en est plus un de par l'intervention du copiste... Le premier cas, donnant deux lettres sur une rangée du premier carré (ici XR après les prétendus décodages Vigenère, alors qu'on devrait avoir HT), peut désigner cette rangée 6, et l'autre lettre, isolée (P au lieu de S), indiquerait alors l'autre coordonnée, la colonne 6, et donc une seule case, la 6,6 point de départ du cavalier.
Cette équerre s'inscrit dans un rectangle de 6x5 cases, comme l'équerre dessinée par les chapitres spéciaux de VME, correspondant aux cases 6,6-0,1-6,1 (ci-contre dans une version simplifiée au seul parcours du cavalier) . Dans le Parchemin nous avons, toujours dans l'ordre de la polygraphie, les cases 6,6-6,3-1,6-(6,2).
Si Perec usait du qualificatif "miraculeux", que dire ici où, à partir d'un texte découpé en tranches de 6 lettres, deux mots de 6 lettres permettent presque naturellement de pointer la case 6,6 ? Presque, puisque la manipulation sur VENIIT en fait en cours de route un mot de 5 lettres, alors qu'une 4e lettre fausse aurait interdit cette désignation.
Il semble impossible de favoriser une hypothèse, tant le hasard semble avoir aidé les concepteurs. Comme j'avais avancé dans le dernier billet que la Chevalerie de Sion avait pu suggérer le parcours du cavalier, et comme nous sommes en présence d'amateurs de calembours, je serais tenté par celui-ci :
VI (6) génère Vigenère.
Ni Plantard ni Cherisey ne semblent avoir fait de commentaires poussés sur le Six, pourtant présent par le Sceau de Salomon couvrant l'Hexagone en couverture de Circuit. Des choses fort curieuses apparaissent par ailleurs dans diverses spéculations de Plantard, qui notamment attribue la polygraphie du cavalier à Vigenère. Selon Chaumeil dans Le Testament du Prieuré de Sion, Plantard aurait donné le 6 juin 1964 une conférence à RLC sur la Polygraphie du Cavalier, en utilisant une variante immédiate du parcours fermé d'Euler. Si c'est invérifiable, on remarque la date, 6/6 comme la case 6,6, et l'année 64 comme le nombre de cases.
Plus assuré est un article en 1989 traitant du symbolisme des échecs dans Vaincre, publication du Prieuré de Sion, attribué à un certain Frère Norberto. Son discours fumeux ressemble à s'y méprendre à du Plantard, et à ce pseudo correspond un saint fêté le 6 juin, encore le 6/6...
Le diable soutenant le bénitier à l'entrée de l'église de Rennes-le-Château - © Johan Netchacovitch L'article est disponible ici, grâce à Mariano Tomatis. Il s'achève sur l'analyse de l'inscription au-dessus du bénitier de l'église de RLC, portée par un diable :
PAR CE SIGNE TU LE VAINCRAS
La formule commence et s'achève sur les lettres PS, et le LE inhabituel porte ses lettres à 22, nombre des arcanes du tarot (dixit Norberto). Le pavage en échiquier de l'église symboliserait le chemin spirituel de l'Initié du Prieuré de Sion, qui doit le parcourir en 3 groupes de 21 sauts du cavalier, de 1 à 22, de 22 à 43, de 43 à 64. Il peut ensuite revenir au 1, mais avec le choix entre les équerres passant par le 14, la Tempérance et le E de LE, ou le 15, le Diable et le V de VAINCRAS...
De ce fatras il peut venir que la case 6,6 selon la notation moderne de l'échiquier est aussi la 22e lettre du code, et que le Diable est concerné au premier chef.

Perec a déclaré dans l'entretien Ce qui stimule ma racontouze que l'écart du chapitre 66 avait quelque chose à voir avec le Diable, qui devait apparaître dans ce chapitre. Selon lui toujours, il serait bien connu que 6 est le nombre du Diable.
Les perecologues accueillent ces propos avec scepticisme : aucune contrainte du Cahier des Charges ne concerne le Diable. De fait il est question au chapitre 65 d'une femme qui sait faire apparaître le Diable à ceux qui peuvent y mettre le prix; c'est son amant qui joue le rôle, lequel recevra au pénitencier le matricule 1 758 064 176
qui est aussi le nombre des Diables de l'Enfer, puisqu'il y a 6 légions démoniaques comprenant chacune 66 cohortes comprenant chacune 666 compagnies comprenant chacune 6666 Diables.

Bien avant de m'intéresser au Grand Parchemin, j'avais développé diverses remarques sur VME, notamment sur mon site. J'avais ainsi vu Perec en père C, avec une allusion aux 6 protons et 6 neutrons de l'élément C (carbone), et une autre à Persée, sans avoir alors songé au cheval Pégase, modèle de l'adepte de Sion selon Norberto :
L'Initié de l'ORDRE doit faire le saut du Cavalier, comme Persée sur le cheval Pégase. Pégase étant né du corps mutilé de la Méduse à laquelle Persée a tranché la tête, ce dernier arrive en Ethiopie, origine de l'échiquier, où il délivre Andromède.

J'avais encore été frappé par certains thèmes récurrents dans VME, ne semblant pas relever des contraintes avouées, celui très net déjà évoqué du cheval, mais aussi par deux autres thèmes plus rares, et deux seulement, le Diable et la décapitation. Je crois ne l'avoir mentionné que sur la liste Perec, pour susciter d'éventuels rebonds, sans succès. Il se trouve que l'un des cas "Diable" concerne le chapitre 74, de coordonnées 0,6, celui qui complèterait le rectangle formé par le chapitre manquant et les premier et dernier chapitres. Une de ses curiosités est qu'il ne semble pas résoudre une contrainte que Perec s'est particulièrement attaché à respecter, la mention des coordonnées du lieu, sous la forme 6 ou 06.
Je me suis demandé s'il ne fallait pas la trouver dans les 6 phrases du chapitre, présentant une particularité : les 5 premières phrases sont plutôt normales, quoique sensiblement plus développées qu'un SMS, mais la 6e phrase est hors normes, s'étendant sur trois pages et 6 alinéas, à coup sûr la plus longue de VME, sinon de la littérature respectueuse d'un certain classicisme.
Dans ce chapitre 74 le narrateur Valène imagine des royaumes entiers sous l'immeuble du 11 rue Simon-Crubellier, descendant de plus en plus bas jusqu'au 6e alinéa de la 6e phrase qui semble bien décrire les Enfers :
et, tout en bas, un monde de cavernes aux parois couvertes de suie, un monde de cloaques et de bourbiers, un monde de larves et de bêtes, avec des êtres sans yeux traînant des carcasses d'animaux, et des monstres démoniaques à corps d'oiseau, de porc ou de poisson, (...)

Il est frappant que les trois chapitres existants formant les coins du rectangle (0,1)-(6,6) concernent les 3 protagonistes essentiels de l'histoire centrale de VME, Winckler, Valène et Bartlebooth.

J'espère développer bientôt sur mon site ce rapprochement entre les polygraphies VME et RLC, et je vais tenter de revenir à plus simple.
Enfin simple si on veut, car Perec a ajouté une couche de complexité à VME avec Un cabinet d'amateur, court roman où il a imaginé une histoire de faux tableaux, chacun issu d'un chapitre de VME. Il est probable que bien des subtilités concoctées par Perec seraient restées ignorées, sans la publication de ses travaux préparatoires.
Ainsi le tableau correspondant au chapitre 65 représente-t-il le Diable, et Perec a noté dans ses brouillons "Chapitre manquant", ce qui semble confirmer qu'il y avait bien pour lui une relation entre ce chapitre non écrit et le Diable. Bien que VME possède un chapitre 66, correspondant à la 67e position du cavalier, c'est dans le chapitre 65 que Perec a placé des allusions au chapitre omis, ce qui pourrait indiquer que ce n'était pas le nombre 66 en lui-même qui avait convoqué le Diable.

L'un des tableaux les plus riches en allusions est Les Ensorcelés du lac Ontario, correspondant au chapitre 3 décrivant la secte des Trois Hommes Libres, rappelant quelque peu le Prieuré de Sion. La secte d'origine japonaise est devenue ici américaine, fondée en mai 1891 par un employé de la Western Union, un tueur de boeufs et un agent d'assurances maritimes. Pourchassés, les sectaires préfèrèrent se jeter dans le lac que se rendre, dans la nuit du 13 au 14 novembre 1891.
C'est une curiosité de trouver l'année 1891, à partir de laquelle aurait débuté l'affaire RLC, avec le pilier Mission 1891 érigé quelques années plus tard par l'abbé Saunière. La date apparaît à une autre occasion dans Un cabinet d'amateur, à propos d'un tableau perdu de Poussin qui aurait été retrouvé cette année-là (dans la remise d'un loueur de fiacres berlinois !), or, selon la belle histoire du Trésor maudit, le Et in Arcadia ego de Poussin aurait été un indice essentiel pour Saunière.
On sait que Saunière a vandalisé un "pilier wisigoth" pour honorer cette date, le pilier original étant aujourd'hui conservé au musée de RLC, rétabli dans son orientation première si bien que l'inscription de Saunière est devenue 1681 NOISSIW... La date 1681 apparaît pour le tableau correspondant au chapitre 42, de coordonnées 6,7 correspondant à l'autre palier du 3e étage, à côté du 6,6 du chapitre 1. Le tableau mentionné juste avant est Les cavaliers arabes, de Delacroix, correspondant au chapitre 2, au premier mouvement du cavalier donc... Selon la belle histoire RLC, la croix du message "Par la croix et ce cheval de Dieu" désignerait Delacroix, et son Héliodore chassé du temple à St-Sulpice (cité par Plantard et Cherisey).
Quel est le tableau correspondant au chapitre 1 ? Une Visitation, attribuée à Andrea Solario, et les notes personnelles de Perec montrent qu'il a joué avec la "visite" par une agente immobilière de l'appartement du défunt Gaspard Winckler (grâce à la clé portée par un domino double-six). Ce jeu pourrait être gratuit et sans rapport avec ses intentions en écrivant VME, mais la visite de l'agente se passe comme tous les chapitres de VME le soir du 23 juin 1975, alors que la nuit de la Saint-Jean va bientôt tomber : la Visitation, c'est la visite de la Vierge Marie (appelée Fille de Sion) à Elizabeth, enceinte de Jean-Baptiste.
Ainsi les 3 premiers chapitres de VME sont transformés en une "Visite à Sion" (6,6) menant, via des Cavaliers de Delacroix (7,8), aux 78 Ensorcelés du Lac Ontario (6,0), ressemblant fort aux Initiés de Sion... Le cavalier arabe, présent dans le chapitre de VME par un emprunt à Borges, pourrait faire allusion à l'écriture arabe, inversée par rapport à la nôtre : Perec restitue probablement dans VME le rebours d'un parcours du cavalier conçu à partir du chapitre final, de même que Plantard-Norberto a inversé le parcours original d'Euler.
Les Ensorcelés du lac Ontario est un titre emprunté à Roussel (Impressions d'Afrique), bien que les contraintes liées à Roussel ne concernent pas le chapitre 3. Curieusement le sujet du tableau établit un lien inédit avec le chapitre 87, où abondent des allusions hors programme à Roussel, notamment un tableau de L.N. Montalescot, tiré des personnages Louise et Norbert Montalescot d'Impressions d'Afrique. Il y a donc un Norbert (fêté le 6/6) caché dans cette première pièce de l'appartement de Bartlebooth (6,7), contiguë au palier (6,6) où débute VME.

Je ne me sens guère à l'aise pour explorer plus avant Un cabinet d'amateur, étant quasi ignare en matière de peinture. Je vais cependant dire quelques mots du tableau correspondant au chapitre 89, point de départ du dernier billet avec sa Célestine Durand-Taillefer à Liège. En commençant ce billet, j'avais l'intention d'y insister sur la date de la mort de Cherisey, le 17 juillet 1985, remarquable pour ce fanatique du méridien zéro, car son ami Plantard assimilait l'axe 17 janvier-17 juillet dans le cercle de l'année à ce méridien.
Je choisis souvent les dates de publication de mes billets, ainsi que leurs heures, en fonction de leur contenu. Le 17 revenant doublement dans la vie d'Alexis, le saint du 17 juillet, j'ai commencé mon message le 17/6, ce que j'ai voulu surdéterminer par l'heure, 17:06, mais j'avais oublié que je postais sur Blogruz, basé sur le méridien de la Californie, avec 9 heures de décalage, si bien que l'heure indiquée à la fin du billet est 08:06.
L'écriture du billet m'a mené à tant de développements que j'ai omis cette mention, et voici qu'après avoir fini le billet j'ai songé au Cabinet d'amateur, et découvert que Perec avait retenu un infime détail de ce chapitre pour imaginer le tableau L'arrivée de Charles Wilkes à San Francisco le 17 juin 1842. Un 17 juin ! et en Californie !
Les nouvelles perspectives offertes étaient si riches que je me suis senti obligé d'en rendre compte ici, au matin du 24 juin. Songeant à une date propice pour un nouveau billet, j'ai regretté que le 23 juin soit passé, la date de VME, et puis je me suis avisé qu'avec le décalage horaire il était bien possible que la Californie fût toujours au 23/06, et j'ai aussitôt débuté un billet, sans prendre garde à l'heure.
Je me suis aperçu ensuite que l'heure enregistrée était 23:06, qui sera donc l'adresse de publication de ce message du 23/06.

Deux remarques d'une extrême pertinence de dp sur le dernier billet :
1 - Dans Durand-Taillefer, Durand peut faire allusion à Durandal, la plus fameuse des épées françaises. Taillefer peut se découper en fer, autre nom de l'épée (croiser le fer), et en taille, le côté tranchant de l'épée (frappes d'estoc et de taille).
L'épée est un mot clé de l'affaire RLC, avec le code MORTEPEE, et symbolisait pour Cherisey le méridien 0 dans Circuit, dont le chapitre 13, intitulé La MORT (d'après l'arcane 13 du tarot), invite à une promenade le long de la Rose Ligne.
Durandal est actuellement fichée dans le mur d'une église de Rocamadour, soit à une quinzaine de kms de Taillefer-Carennac, le fief du dernier survivant du Prieuré de Sion, Chaumeil, confident de Cherisey.

2 - A propos du fondeur Rondeau de Carennac, précisément, dp remarque que ses dates (1493-1543) sont fort proches de celles de Paracelse, 1493-1541, par ailleurs données dans l'index de VME. Je rappelle que Perec a signé Gargas Parac son What a man !, ainsi Parac-else pourrait être considéré comme un autre (else) Perec, alors que ce passage de VME est analysé par Bertelli comme un obituaire aux Perec disparus.
D'autres faux personnages de VME reçoivent dans l'index des dates évoquant leur source, ainsi LN Montalescot a les mêmes dates que Roussel, 1877-1933.

Le titre de ce billet, le pommadé dévoilé, est une anagramme de La Vie mode d'emploi. Ce "pommadé" pourrait être le Christ, en pensant à l'allemand Salbe, "pommade", Gesalbte, "Christ". Si le Diable se cache entre les pages de VME, pourquoi pas Dieu aussi ? Je me souviens d'une exégèse perecquienne allant dans ce sens.
J'y vois aussi un parallèle avec les mystérieuses pommes bleues du Parchemin. En utilisant la catégorisation particulière de VME, il y a moyen d'affiner le parallèle (je suis daltonien) :
La Vie mode d'emploi - Romans =
A midi, pomme de vallon rose


Note du 15 septembre 10 : mon amie plasticienne Marylin m'a signalé que mon anagramme Le pommadé dévoilé était fausse, un "i" y est devenu un "e" (mais l'anagramme ci-dessus est juste).
C'est finalement plutôt amusant, en pensant aux erreurs du Parchemin.
Marylin m'a fait l'honneur de variations sur ce thème, visible sur son site (qui nécessite Firefox), dont celle-ci :

jeudi 17 juin 2010

LA VIE est un ROMAN

Pour Béatrice, qui a 14 jours d'avance...

J'ai lu récemment Pierre et Papier, le document où Philippe de Cherisey revendique la fabrication des deux parchemins qui ont pour une bonne part fondé le mythe de Rennes-le-Château (RLC), ainsi le plus complexe des deux, le Grand Parchemin (GP), figurait en couverture du livre signé Gérard de Sède qui a initié l'affaire, Le trésor maudit (dans l'édition poche de 1968).
Je n'ai vu rien de réellement neuf dans ce document, dont je connaissais l'essentiel discuté sur des forums spécialisés, sinon l'adresse de Cherisey dans les années 70 où il a écrit le texte : 10 rue des Célestines, à Liège. Ci-contre manuscrite sur une lettre de la fin des années 60.
Ceci m'a été aussitôt évocateur. Un de mes livres favoris est La Vie mode d'emploi (VME, 1978), dont chaque chapitre peut constituer un petit roman, comme l'indique la catégorisation particulière de l'oeuvre ; le chapitre 89 est essentiellement consacré au contenu d'un livre, La Vie des Soeurs Trévins, édité chez l'auteur, Célestine Durand-Taillefer, rue du Hennin, à Liège. Après avoir présenté quelques extraordinaires exploits de ces quinquamelles, nièces de Mme Trévins, un personnage secondaire de l'immeuble du 11 rue Simon-Crubellier, Perec les renvoie au néant dont il les a tirées, au second degré puisque nous sommes de toute manière dans la fiction : Célestine Durand-Taillefer n'existe pas, pas plus qu'il n'y a de rue du Hennin à Liège, et c'est Mme Trévins qui a écrit le destin de ces nièces imaginaires, qu'elle a proposé sans succès à divers éditeurs, pour finalement se résigner à s'en faire imprimer un exemplaire unique, qu'elle se dédia.
S'il n'y a pas de rue du Hennin à Liège, il y a une rue de la Casquette, qui croise la rue des Célestines où habitait Cherisey, dans le quartier animé du Carré, dans le centre touristique. C'est dans la rue du Pot-d'or à l'autre extrémité de la rue des Célestines que Simenon a imaginé son cabaret du Gai-Moulin.
Perec pouvait connaître cette rue des Célestines sans savoir que Cherisey, pataphysicien comme lui, y habitait, mais il y a d'autres résonances entre ces deux supercheries que les noms Célestine et Liège.

Cherisey a donné dès 1971 le décodage du Grand Parchemin dans une brochure extrêmement confidentielle, Circuit, dont un unique exemplaire a été déposé dans une bibliothèque publique (à Versailles). Sa couverture montre un glaive traversant la France selon le méridien zéro, passant non loin de RLC. S'il n'en est pas question dans Le trésor maudit, la manipulation du "Prieuré de Sion" avait été habilement ourdie, laissant aux lecteurs de Gérard de Sède le soin de découvrir les pistes préparées par les faussaires, dans de faux documents déposés à la Bibliothèque Nationale.
Si Cherisey a pris une bonne part dans l'élaboration de ces documents, Circuit est d'un autre type, trop farfelu pour être pris au sérieux. S'il est fort ardu de démêler les parts respectives du trio Plantard-Cherisey-Sède dans la fabrication du mythe du Prieuré de Sion, du moins semble-t-il assuré que Cherisey seul n'aurait pas été loin, incapable d'écrire un paragraphe sans un calembour énorme. Ainsi son historique du méridien zéro, chapitre 13 de Circuit (ici en anglais), est-elle truffée d'inventions tournant en dérision la Rose Ligne chère au Prieuré, imaginant par exemple le nom de Sainte Roseline associé à un miracle survenu dans les gorges de Belcatel (sur le méridien 0) : deux hommes auraient été près de s'y noyer, mais une rose rouge apparut à Jeanne de Villeneuve, puis une longue corde qui permit de sauver les deux hommes; c'est en souvenir de ce miracle qu'elle entra au couvent sous le nom de Roseline...
C'est évidemment une complète invention, et il se trouve qu'une des soeurs Trévins doublement imaginaire se prénomme Roseline :
Roseline fut la première femme à faire le tour du monde en solitaire à bord de son yacht de onze mètres, le C'est si beau.
Lorsqu'un "exégète castelrennais" découvre une Roseline ou Rosalie dans un livre supposé avoir peu ou prou un rapport avec "l'affaire", il y voit volontiers la confirmation de ses hypothèses, quel que soit un contexte souvent bien moins évocateur que le cas présent.
Cette Roseline a fait le tour du monde, quasi-définition du méridien, et elle a été la première à le faire, définition du méridien d'origine... Au cas où ce ne serait pas un hasard, car cette possibilité n'est jamais à négliger, il est important de savoir que la dénomination de Rose Ligne pour le méridien de Paris semble l'exclusivité du Prieuré de Sion, pour le relier à la lignée du sang, christo-mérovingienne, et au 17 janvier, Ste-Roseline comme St-Sulpice, date clé de l'affaire, figurant dans l'épitaphe de Marie de Nègre point de départ du codage du Grand Parchemin.
Avant 1982, où l'affaire RLC a acquis un statut international avec la parution de L'énigme sacrée, suivie de multiples autres publications à grand tirage (dont Da Vinci Code vendu à près de 100 millions d'exemplaires de par le monde), le dossier est resté entre les mains d'un nombre limité de chercheurs dont les découvertes sont demeurées plutôt confidentielles, le plus souvent éditées à compte d'auteur.
Si je ne suis pas assez passionné par l'affaire pour connaître le détail de ces parutions, je ne pense pas qu'un document facilement accessible ait mentionné la Rose Ligne avant 78, aussi me semble-t-il hautement improbable que Perec ait associé intentionnellement une Roseline à un "tour du monde" sans une connaissance privilégiée du dossier.

Le nom Taillefer de Célestine biographe des soeurs Trévins est encore extraordinaire, mais résultant d'une presque obligatoire coïncidence (presque car une autre possibilité n'est jamais à négliger). Il se trouve que Taillefer est un pseudonyme de Jean-Luc Chaumeil, qui fut un temps secrétaire du Prieuré de Sion, et qui exploite depuis le filon RLC en publiant divers documents, dont Pierre et Papier dans Le Testament du Prieuré de Sion (2006). Voir sur ce forum son message (le 3e en partant du bas) signé Taillefer (parmi de nombreux autres).
C'est d'ailleurs Chaumeil qui à ma connaissance a publié le premier un ouvrage grand public associant la méridienne à RLC, Le trésor du triangle d'or (1979).
Si Chaumeil aurait pu avoir utilisé le pseudo Taillefer dès les années 70, car c'est le nom d'un château près duquel il a grandi (voir cette photo légendée Taillefer à Taillefer), Perec donne dans Le cahier des charges de VME la raison (ou du moins une raison) du choix de ce nom.
On sait que chaque chapitre de VME implique quelque 40 contraintes, ainsi ce chapitre 89 devait contenir une allusion à la musique sérielle. Perec a probablement pensé ici à Germaine Tailleferre, compositrice ayant expérimenté la technique sérielle. Il est amusant que le prénom Germaine ici occulté corresponde à une sainte également associée au 17 janvier, dont la vie (et la mort...) présente des points communs avec Ste Roseline.
Le Cahier des charges montre encore que Perec a songé un temps à résoudre la contrainte sur le peintre HOLBEIN par un genre d'acrostiche sur le nom des soeurs Trévins :
H
OLivia
BEr
INgrid
Il y aurait donc eu un nom de peintre à décoder, or le décodage du Grand Parchemin fait apparaître les noms des peintres POUSSIN et TENIERS.
Les 5 prénoms finalement retenus semblent amener ROMAN :
Roseline
Odile
Marie-Thérèse
Adélaïde
Noëlle
Ceci mettrait Roseline au premier plan...

Cet acrostiche peut rappeler une découverte des chercheurs RLC, qui se sont avisés que les statues et la chaire (dominée par Saint Luc) dans la nef de l'église de RLC, Ste-Marie-Madeleine, pouvaient former un M marial ou magdalénien encadrant Marie-Madeleine selon un acrostiche GRAAL:
A noter que le GRAAL est un ROMAN, parmi les premiers de ce genre conçu au 12e siècle. Les acrostiches débuteraient sur les saintes voisines Germaine et Roseline. Je ne connais pas assez bien le dossier pour savoir quand a été vue cette possibilité.

Il faut savoir encore que la ville de Liège a dans ce chapitre une raison d'apparaître, pour répondre à la contrainte "murs en liège", bien que Perec ait noté "cork" sur la ligne correspondante ("liège" en anglais, et Odile Trévins épouse le richissime Faber McCork); Perec omettait souvent de préciser comment il avait résolu ses contraintes, il doublait fréquemment leur résolution, et ne se privait pas non plus de tricher puisque les occurrences de Liège ou Cork ici n'ont rien à voir avec des murs.
La rue du Hennin à Liège doit son nom à la contrainte "Moyen Age". Si Perec a profité de la contrainte "murs en liège" pour mentionner Liège, il lui suffisait de médiévaliser la rue de la Casquette en Hennin pour mieux cibler la rue des Célestines. "Célestine" ne semble amené par aucune contrainte.
Il n'est pas certain que Perec ait employé le nom Taillefer pour satisfaire à la contrainte "musique sérielle", résolue plus loin par une liste de 12 cabarets où se sont produites les soeurs Trévins, avec en 11e position le Twelve Tones (les 12 tons de la "série") de Newport. Cette surdétermination de 12 peut attirer l'attention des spécialistes du GP (Grand Parchemin) :
- Il est basé sur une rare recension des 11 premiers versets du chapitre 12 de Jean.
- Ces 11 versets sont suivis d'une formule en 12 mots empruntée à l'église de RLC.
- Au sein des 11 versets de Jean 12 sont introduites les 128 lettres codées, en deux séries de 64 lettres séparées par une formule en clair, AD GENESARETH en 12 lettres.

Le récit des vies des soeurs Trévins s'achève sur les mots deux dadas :
(...) Adélaïde, richissime, se consacre au piano et aux handicapés physiques, ses deux dadas.
Ces deux dadas peuvent aussi faire réagir un spécialiste du Grand Parchemin puisque la dernière étape du décodage des deux séries de 64 lettres consiste à les placer sur deux échiquiers et à lire le message selon la "polygraphie du cavalier". Les romans écrits selon la polygraphie du cavalier sont assez rares pour qu'il soit assuré que VME en ait été le premier exemple.
Ci-dessous le premier échiquier de décodage du GP, avec point de départ en f6 selon la notation moderne (6e case de la 6e rangée en partant d'en bas), et le damier 10x10 structurant l'ordre des chapitres de VME; Perec a choisi de commencer son parcours dans la case 6,6 selon sa notation (6e case de la 6e rangée en partant du haut, et l'autre échiquier permettant de décoder le GP est symétrique au premier, avec un point de départ sur la 6e case de la 6e rangée en partant du haut).
Je me demande si les occurrences de chevaux ou cavaliers dans de multiples chapitres de VME, comme ces dadas, ne constitueraient pas une contrainte non signalée. Ainsi le prénom du personnage principal est Percival, et l'une des contraintes littéraires concerne le roman de chevalerie du Graal...
Peut-être faudrait-il renverser l'hypothèse en ce qui concerne la manipulation RLC. Ainsi parce que le Prieuré se voulait une nouvelle chevalerie (Chevalerie d'Institution & Règle Catholique & d'Union Indépendante Traditionaliste, C.I.R.C.U.I.T), la polygraphie du cavalier serait venue en souligner la noblesse... Cherisey avance dans Pierre et Papier une motivation purement égocentrique : parce que son prénom Philippe signifie "qui aime les chevaux" et son nom de scène Amédée "qui aime Dieu", le "Cheval de Dieu" figurant dans le décryptage serait sa signature...
De même la fin de l'énigmatique formule, "A midi pommes bleues", serait une signature d'Amédée. Si Perec ne connaissait pas personnellement Cherisey, du moins est-il assuré qu'il se souvenait en 1975 du comédien Amédée :
21 Je me souviens de
« Grégoire et Amédée
présentent
Grégoire et Amédée
dans
Grégoire et Amédée »
(et de Furax aussi, bien sûr).
Grégoire et Amédée (Dubillard et Cherisey) et Signé Furax (Francis Blanche) furent des fleurons de la radio à la fin des années 50. Cherisey a avancé que Francis Blanche (avec lequel il a joué dans La Jument verte par exemple) lui aurait soufflé l'idée de fabriquer les faux parchemins, allégation difficilement vérifiable.

Y a-t-il d'autres chapitres de VME pouvant évoquer RLC ? Au moins deux, ainsi le chapitre 3 décrit dans la case 6,10 de l'immeuble l'initiation de trois nouveaux adeptes de la secte des Trois Hommes Libres, dite aussi La Vague Blanche, secte créée par 3 hommes en 1960 dont chaque membre forme en 3 ans 3 nouveaux adeptes, ainsi la secte comptait en 1975 où se passe le roman 729 nouveaux membres occupés à former 2187 adeptes. Ces puissances de 3 évoquent la structure pyramidale du prétendu Prieuré de Sion, composé d'un grand chef, l'unique nautonier, puis de 3 sénéchaux, 9 connétables, 27 commandeurs, 81 chevaliers, 243 écuyers, 729 preux responsables de 729 commanderies, 2187 croisés et 6561 novices... Il est pour le moins curieux que cette structure soit révélée au grand public dans L'énigme sacrée en 1982, l'année suivant 1981 où 6561 novices des Trois Hommes Libres débutaient l'initiation de 19683 nouveaux élèves...
Ce chapitre 3 de VME s'achève sur une autre étrangeté : la description de ce qui se passe dans la 3e pièce du 3e droite est suivie de sa totale négation, ce qui semble avoir jusqu'à présent dérouté les exégètes,
Il n'y a personne au troisième droite.
Il n'y avait en fait pas grand monde non plus au Prieuré de Sion.

J'avais depuis longtemps repéré cette correspondance entre les Trois Hommes Libres et le Prieuré, sans estimer qu'elle méritait mieux qu'une éventuelle note en bas de page, mais voici que l'affaire "Célestine-Liège" pouvant évoquer Cherisey relance la question.
Un intérêt des multiples contraintes de VME est que leur brassage savant (par permutation selon la pseudo-dizine des rangées et colonnes du bicarré latin...) fait que deux chapitres quelconques ont obligatoirement plusieurs contraintes en commun, ce qui contribue à "faire prendre la sauce", selon l'expression de Perec, en tissant des liens entre les chapitres.
Copyright © 2010 Erika PalL'une des contraintes communes aux chapitres 3 et 89 est "Baucis", évoquée dans le chapitre 89 par le nom du yacht avec lequel Roseline a fait son tour du monde, le C'est si beau, renversement syllabique de Bau-Ci-Sse...
Au chapitre 3, l'un des apprentis Hommes Libres est supposé méditer pendant 6 heures sur la formule
Quelle est la menthe devenue tilleul ?
Il s'agit de penser aux amants Philémon et Baucis métamorphosés en un chêne et un tilleul, mais un adepte de la secte Plantard-Cherisey-Sède, initié par le second, ne peut ignorer que "tilleul" est un mot-clé dans Circuit, où Cherisey assure notamment que l'avenue Unter den Linden ("Sous les Tilleuls") serait l'équivalent germanique du Méridien de Paris.
Ceci pourrait apporter un nouvel éclairage au tour du monde de Roseline et du C'est si beau-Baucis-tilleul...

Il y a encore le chapitre 22, histoire d'une formidable escroquerie à la fin du 19e siècle, où un faussaire extorque $1,000,000 à un ancêtre de Percival Bartlebooth contre un prétendu Vase du Graal. Il avait volé ce vase, antique mais quelconque, au musée d'Utrecht le 4 août 1891, puis avait forgé une profusion de faux documents dont l'ensemble accréditait sans nul doute qu'il s'agissait de l'authentique vase ayant recueilli le sang du Christ...
Or l'année 1891 est au premier plan de la Belle Histoire de RLC, basée sur une note du journal de Bérenger Saunière au 21 septembre 1891 : découverte d'un tombeau.
De là à en déduire qu'il avait découvert les fameux parchemins dans le pilier wisigoth sculpté du maître-autel, que leur décodage l'a conduit à un tombeau fabuleux, qu'il en a remercié le ciel en dressant le pilier (à l'envers, et amputé de la partie évidée correspondant à la cache) à l'entrée de son église, agrémenté des inscriptions "Pénitence ! Pénitence !" et "Mission 1891", il n'y a que quelques pas franchis allègrement et repris si fréquemment qu'il s'agit pour beaucoup d'une certitude avérée.
Curieusement, ce pilier wisigoth a des points communs avec un pilier carolingien, conservé au musée de Narbonne, qui montre deux colombes portant la coupe du Graal à l'emplacement correspondant à Mission 1891...
Rappelons que le renversement de 1891 donne 1681, date pouvant correspondre au MDCOLXXXI donné dans l'épitaphe de la marquise de Blanchefort, et que NOIS, soit SION renversé, figure sur le Grand Parchemin, pour montrer l'habileté des manipulateurs dans l'exploitation de réels détails curieux (il est vrai parfois fort troublants, mais c'est la manipulation qui a souligné ces détails).

Je croyais en avoir fini avec les échos VME-RLC, or voici que la chère dp, à qui j'avais parlé du pseudo Taillefer de Chaumeil, à cause des ruines de Taillefer sur la commune de Carennac, me signale qu'elle a visité Carennac, et sa présence dans VME, chapitre 60 :
Qui saurait désormais que François Albergati Capacelli était un dramaturge italien né à Bologne en 1728, et que c'est au maître fondeur Rondeau (1493-1543) que l'on devait la porte de bronze de la chapelle obituaire de Carennac ?
Si Wikipédia connaît encore Capacelli, personne n'a trouvé trace du fondeur Rondeau, et le perecologue Bertelli voit dans ses dates et son bronze un autre 11-43 (voir mon précédent billet). Mieux, le cas est disséqué dans cette étude complète où Bertelli voit dans les mots de Perec une récriture d'un passage des 11000 verges d'Apollinaire, et dans Carennac les lettres de "crâne"...
Si VME est un livre abyssal, Copyright © 2002 Phil Marlinoù Perec a mêlé toute sa malice à sa formidable érudition, toutes les communes françaises de plus de 370 âmes n'y figurent certes pas, et je suis effaré d'y trouver Carennac, où habite toujours Chaumeil dans le manoir familial, ci-contre. Phil Marlin donne ici un compte-rendu de sa visite à ce survivant du Prieuré de Sion, qui anime aussi une galerie d'art, nomméeCopyright © 2002 Phil Marlin L'Atelier du Prieuré, car il y a aussi un prieuré à Carennac(-le-Château ?), et voici le peintre Taillefer en personne à l'oeuvre dans son atelier.

Je comptais mentionner quelques coïncidences annexes, mais ce sera pour une autre fois.

Les sites "sérieux" sur RLC sont rares, parce que l'affaire fascine essentiellement les amateurs de sensationnel, néanmoins cette étude (en anglais) du Grand Parchemin par le chercheur italien Mariano Tomatis me semble exemplaire.
Christian Attard démontre sur son site que l'épitaphe de la stèle est tout à fait conforme au registre des décès, mais que le croquis qui en a été reproduit en 1905, la seule source connue, est erroné, dans le relevé des lettres comme dans la forme, en conséquence le prétendu décodage de cette stèle repose sur quelque chose qui n'a aucune réalité.
Je rappelle que, pour démontrer que la seule étape problématique de la confection du Grand Parchemin, l'anagramme de l'épitaphe, n'était pas si difficultueuse, j'en ai composé aisément 3 anagrammes, exploitées dans cette nouvelle.
J'ai donné quelques références sur Cherisey dans mon avant-dernier billet.

J'ai déjà envisagé des échos entre RLC et des oeuvres de Perec, ici où je commentais la présence de Et in arcadia ego dans un palindrome de 1970, et où je notais la présence de la séquence RAZES dans le dernier vers d'Alphabets.
Enfin j'ai soulevé ici la question de l'intervention du pataphysicien et oulipien Caradec dans l'élaboration du canular RLC, étonné de ses allusions dans son roman posthume. La seule hypothèse raisonnable que je puisse tirer de tous ces échos est que certains oulipiens ou pataphysiciens ont été informés du canular, sous le sceau d'une confidentialité parfois transgressée par de secrètes allusions.

mercredi 26 mai 2010

Un disparu au 4311

Le 11 février 08 je débutai le billet 11-43, initié par la diffusion sur TF1, à cheval sur les 10 et 11 février, de Paycheck, film de John Woo inspiré d'une nouvelle de PK Dick. On y voyait un taxi 01143 véhiculant Ben Affleck, qui interprète un ingénieur dont les souvenirs des trois dernières années ont été effacés.Mémoire, disparition, mots-clés de l'univers de Perec, dont l'oeuvre est soupçonnée d'être organisée autour de repères autobiographiques, comme 11/43, témoignant de la déportation de sa mère à Auschwitz le 11 février 1943.Ce n'est ainsi pas par hasard si, dans cette adaptation BD par William Henne de La disparition de Perek de Hervé Le Tellier, le code permettant d'ouvrir une mallette est 1143. Ce code était différent dans le roman, qui soit dit en passant n'est pas ce que je préfère de Le Tellier, et Henne m'a confirmé avoir opéré cette modification en référence aux écrits de Bernard Magné sur le "11/43".

Le cas de Capricorn One est quelque peu différent, car Perec a probablement vu ce film de Peter Hyams, sorti en France le 26 juillet 1978 (103e anniversaire de Jung pour un lien avec Quaternité), dont le thème avait tout pour le séduire.
L'Amérique se passionne pour la première expédition sur Mars, sans soupçonner qu'il s'agit d'une colossale supercherie, filmée dans un camp militaire secret. Un technicien de la NASA, Elliott Whitter, repère cependant des anomalies, et ne se contente pas des affirmations de ses supérieurs qui les attribuent à la console 36 défectueuse. Il en fait part à son ami le journaliste Caulfield, mais lorsque celui-ci vient à son domicile du 4311 Claridge il y a une autre occupante dans son appartement, qui y vit depuis des années et qui n'a jamais entendu parler d'un Whitter, un nom qui ressemble à white, "blanc", ce qui est immédiatement significatif pour les lecteurs de La Disparition, où le grand Disparu est l'E, dont la blancheur rimbaldienne est abondamment soulignée tout au long du roman.
La NASA ne connaît plus non plus Whitter, disparu pour tous.
L'occupante des lieux montre à Caulfield son courrier, adressé à Alva Leacock, 4311 Claridge ; alvo-alva signifie "blanc-blanche" en portugais.
Alva signifie encore "aube" dans divers dialectes (alba en espagnol où b et v se prononcent à l'identique). Les premières images du film montrent un lever de soleil sur la base de lancement, dont les couleurs peuvent éventuellement sembler curieuses, à juste titre car il s'agit d'un coucher de soleil vu à rebours, l'équivalent d'un palindrome cinématographique, ce qui est éminemment perecquien.

Rejeté de tous, viré de son emploi, traqué par les responsables du complot, Caulfield n'est plus soutenu que par son amie Judy Drinkwater, jouée par Karen BLACK. Il lui a demandé une liste des bases militaires proches de Houston. La plus proche est WHITE Bluff, un nom tout à fait significatif, "falaise blanche" mais aussi "bluff blanc" (aucune base réelle ne porte ce nom). Mais c'est dans la base désaffectée de Jackson que les comploteurs ont sequestré les astronautes et construit les décors de Mars.
Le nom de jeune fille de Karen Black était Karen Blanche Ziegler, elle a conservé ensuite comme nom d'actrice celui de son premier mari Charles Black.
Le rôle le plus célèbre de Karen Black est celui du dernier film d'Hitchcock, Complot de famille (1976), où elle jouait la méchante Fran opposée à la gentille Blanche (Blanche Tyler interprétée par Barbara Harris).

L'autre aide indispensable apportée à Caulfield est celle du truculent Albain, alias Telly Savalas, pilote d'un biplan pour traiter les champs, ce qui rappelle un autre Hitchcock (North by Northwest). Tiens, le taxi 01143 de Paycheck était de la compagnie Northwest, qui existe réellement à Vancouver où a été tourné le film.
Albin est un personnage essentiel de La Disparition, brigand albanais amoureux d'une star d'Hollywood, à l'origine de la malédiction, de la maldiction plutôt, frappant les personnages disparaissant les uns après les autres.

L'un des faux astronautes est OJ Simpson, qui a eu le destin qu'on connaît. Un détail dans l'affaire d'assassinat pour laquelle il a été blanchi au pénal et déclaré coupable au civil est une photographie falsifiée publiée en une de Time où sa peau avait été noircie.

Si l'équipe de Capricorn One ne pouvait en principe prévoir ce dernier détail, il y a probablement une part d'intentionnalité dans les jeux noir/blanc, en anglais black/white souvent rimé par les poètes avec wrong/right, "faux/juste".
Un autre jeu intentionnel apparaît dans les noms du technicien disparu, Elliott Whitter, et de son ami journaliste, Robert Caulfield, respectivement interprétés par Robert Walden et Elliott Gould. Le chiasme était d'autant plus sensible pour le public américain de 1978 que Robert Walden était alors connu pour son rôle de journaliste dans la série Lou Grant, débutée en 1977.
Note du 26/09/10 : Curieusement Brian de Palma tournera l'an suivant Pulsions, dont le personnage principal est le psy Robert Elliott (Michael Caine), atteint d'un dédoublement de personnalité.
Ce jeu sur Elliott, et Alva qui lui est substituée, a quelques échos pour un perecquien obsessionnel. Au chapitre 40 de La Vie mode d'emploi, il est question du naufrage du pétrolier Silver Glen of Alva au large de la Terre de Feu, ce qui semble lié au naufrage du Sylvandre dans W ou le souvenir d'enfance. Dans le même chapitre Harvey Elliott est un pseudonyme que l'historien Arnold Flexner utilise pour écrire des polars licencieux.
Ces noms sont liés, car Silver Glen et Alva sont des toponymes empruntés à Conversions de Harry Mathews, où un personnage se nomme Harvey Elliott. Conversions est l'un des dix textes fournissant des allusions dans 10 chapitres désignés par le système de contraintes imaginé par Perec, mais le chapitre 40 n'était pas désigné par ce dispositif...
Je me bornerai à remarquer qu'il existe un lien particulier entre le Sylvandre, originellement emprunté à un autre bateau naufragé dans Impressions d'Afrique (au chapitre 11 !), et Harry Mathews, autre amateur de Raymond Roussel qui a baptisé sa résidence du Vercors Le Sylvandre. Perec voulant évoquer un naufrage significatif pour lui aurait pu désirer adresser un clin d'oeil à son ami Harry, avec Sylvandre devenant Silver Glen of Alva. Peut-être a-t-il été conscient de la double connotation de blancheur (silver = "argent", alva = "blanche") propre à ce nom, mais Perec ne pouvait alors connaître Robert Walden alias Elliott Whitter, ce double W disparu du 4311 (Wald = "forêt" en allemand, sylva/silva en latin), le film étant sorti alors que La Vie mode d'emploi, paru en septembre 78, était au stade des ultimes corrections.

A propos de conversions, une curiosité est que le calibre .45 (pouces) des plus grosses armes de poing se convertit en 11,43 (millimètres).
Depuis 2002, 75,00 F sont devenus 11,43 euros, et au moins un livre de Perec est actuellement vendu à ce prix.
Alva est un mot plutôt rare, et le retrouver associé chez Perec à "Elliott" est donc une stupéfiante coïncidence, même si cette association n'a rien d'immédiat pour un lecteur lambda. Pour dissiper tout doute quant à l'apparition chez Perec d'un Elliott, nom plus commun, 4 des 5 pseudonymes de Flexner sont empruntés à Conversions, Rowlands, Jinemewicz, Loudon et Elliott.
Cette récurrence onomastique me rappelle une autre oeuvre parue en 1978 en France, L'Adversaire d'Ellery Queen, et j'étudiais ici les formidables échos de cette intrigue montrant un certain W éliminant sans motif apparent 4 cousins millionnaires, le dernier étant Percival, sur fond de puzzle et de jeu d'échecs, avec l'histoire principale de La Vie mode d'emploi, la vengeance de Winckler à l'encontre de Percival Bartlebooth, signée par un W final. Le premier des 4 cousins se nommait Robert.

Une dernière coïncidence relie les deux images qui m'ont interpellé en regardant Paycheck et Capricorn One, Ben Affleck alias Michael Jennings sortant du taxi 01143 et Elliott Gould alias Robert Caulfield s'arrêtant devant un immeuble 4311.
Caulfield doit probablement quelque chose au héros Holden Caulfield de L'Attrape-cœurs, le livre culte de JD Salinger (qu'il faudra peut-être que je lise un jour). Toujours est-il que Wikipédia m'apprend :
Dans les films de Kevin Smith, Méprise multiple et Jay & Bob contre-attaquent, deux personnages se prénomment Holden McNeil (Ben Affleck) et Banky Edwards (Jason Lee). Les noms sont des références à Holden Caulfield et Ed Banky, deux personnages de L'Attrape-cœurs.

jeudi 4 mars 2010

UN PLI recommandé

Plusieurs chercheurs ont relié l'oeuvre de Maurice Leblanc à l'affaire de Rennes-le-Château (RLC). S'il n'a pas été le premier, Patrick Ferté donne en 1992 dans son Arsène Lupin Supérieur Inconnu une profusion d'échos propre à interroger ceux qui, comme moi, ont le plus grand mal à prendre l'affaire au sérieux.
Les récents approfondissements contés ici m'ont conduit à une hypothèse : et si les coïncidences entre l'oeuvre de Leblanc et l'affaire RLC ne témoignaient pas de la transmission par Leblanc d'un quelconque savoir ésotérique, mais plutôt d'une influence essentielle de son oeuvre sur les manipulateurs à l'origine de la mystification ?
A noter illico qu'il ne s'agit que d'imaginer une influence prépondérante, car il a été récemment démontré que la photo de la "Borne ALCOR" près de RLC, une des "preuves" de l'affaire, était un document trafiqué et que la pierre originale, retrouvée (voir ici, temps 44'), n'avait jamais porté l'expression Ad lapidem currebat olim regina, imaginée par Leblanc dans La Comtesse de Cagliostro (mais les faussaires avaient laissé à leurs victimes le soin de cette identification).
Si RLC a focalisé l'attention, le trio des manipulateurs, Cherisey-Plantard-Sède, l'intégrait à un "triangle d'or" Gisors-Stenay-RLC, qui correspondrait avec une parfaite adéquation aux trois romans de guerre de Leblanc. Trois ouvrages en apparence indépendants parurent sur ces lieux, sous la seule signature de Gérard de Sède, mais dont le trio se partageait les droits d'auteur.
Ce fut d'abord Les templiers sont parmi nous (1963), révélant la présence dans une salle souterraine de Gisors de 30 coffres... L'affaire aujourd'hui oubliée fit tant de bruit à l'époque que Malraux organisa une campagne de fouilles. Ces 30 coffres rappellent la salle souterraine de L'île aux 30 cercueils (1919), dont le plafond est soutenu par 30 pierres dressées correspondant à 30 menhirs en surface. Il y a un Prieuré dans cette île SIllONnée d'un réseau de communications souterraines, évoquant le Prieuré de Sion, et ce Prieuré est habité par un Antoine, fêté le 17 janvier...
En 1971 paraît La race fabuleuse, agitant diverses idées autour de la dynastie mérovingienne et de Stenay, ville royale choisie par Dagobert II. Divers indices permettent d'identifier la ville imaginaire de Corvigny, dans L'éclat d'obus (1915), à Stenay.
Entre les deux fut publié L'or de Rennes (1967), or le roman intermédiaire de Leblanc, Le triangle d'or (1917), décrit la quête d'une fortune en or dans la propriété du nommé Essarès, rue RAYNouard, que les lupinologues tel Ferté identifient à Rennes dans le Razès...

Je ne vais pas tenter de démontrer plus avant cette hypothèse, d'une part parce que je ne connais pas assez bien l'ensemble de la "mythologie plantardienne", esquissée dans ces livres signés de Sède et développée ailleurs, et que je n'ai guère envie de l'étudier plus avant, étant tout à fait convaincu qu'il s'agit d'une totale mascarade, d'autre part parce que je sais que, quels que soient les arguments avancés, il subsistera toujours des failles, par lesquelles ne manqueront pas de s'engouffrer ceux qui veulent à tout prix croire à une énigme fabuleuse dans le Razès, ainsi la publication 20 ans après la mort de Cherisey, conformément à ses voeux, de Pierre et Papier dans lequel il avouait avoir fabriqué les principaux documents en cause, n'a pas suffi et les partisans de l'authenticité du message "à midi pommes bleues" ont mis à profit quelques contradictions de Cherisey pour réfuter ses allégations et par là même conforter leur position...

Or nous verrons que Cherisey n'est pas du tout quelqu'un dont on peut attendre un discours raisonnable. Par ailleurs les contradictions et les coïncidences les plus étranges semblent inhérentes à tout dossier, dès qu'on tente de l'approfondir sans oeillères. J'écris ceci non en rationaliste borné, acharné à extirper toute trace de merveilleux, mais parce qu'il me semble que le merveilleux réside précisément dans ces coïncidences, que je m'afflige de voir détournées de leur enseignement éventuel pour des histoires plutôt puériles de trésors cachés.
Mon précédent billet étudiait précisément de formidables coïncidences liées à RLC, mais avec une implication personnelle telle que nul n'était tenu d'en accepter l'intégralité. Ce qui suit est par contre une coïncidence absolue, probablement totalement inédite, et je dois de l'avoir repérée à la fantaisie de Cherisey.
Je demande un peu de patience avant d'y arriver.

Ce site donne les cinq premiers chapitres de Circuit, où Cherisey contait en 1971 l'itinéraire farfelu des jeunes Charlot et Marie-Madeleine vers Rennes-le-Château. Plantard et Sède y apparaissent sous les noms Valérien et Matras, tandis que Cherisey s'y met en scène sous le nom d'Amédée, son nom d'acteur, notamment dans le duo radiophonique Grégoire et Amédée qui le rendit célèbre, enchantant les amateurs de nonsense sur Paris-Inter jusqu'en 1960.
Circuit débute sur une interview d'Amédée par Matras, qui lui demande comment il a connu Roland Dubillard :
AMEDEE – C’est toute une histoire qui remonte à l’inénarrable tandem « Grégoire et Amédée » où il était Grégoire et moi l’autre.
MATRAS – On ne vous entend plus à la radio.
AMEDEE – En effet, au moment ou la R.T.F. colonisa son carton à chapeaux du quai de Passy, se réduisit aux décimales O.R.T.F. et rabattit le couvercle sur sa tête, Grégoire et Amédée durent se séparer pour des raisons de sécurité : quelqu’un, tirant sur la virgule formant clapet, aurait pu nous réduire au niveau du commun où il n’est point d’inénarrable qui tienne.
MATRAS – Y a-t-il un rapport entre Grégoire et ce fameux abbé du même nom qui en 1792 réclama la liberté du culte pour les habitants du Mont Blanc et dont Victor Hugo déclara qu’il venait au sénat pour garnir un banc vide ?
AMEDEE – Peut-être bien, mais il faut vous dire que le duo Grégoire et Amédée est emprunté au « Triangle d’or », une aventure d’Arsène Lupin. Grégoire a l’air d’une femme déguisée en homme jusqu’au moment où l’on reconnait en lui un homme. Amédée pour sa part est un concierge bavard.
Et bien, figurez-vous que tous deux meurent assassinés pas tellement loin du quai de Passy où est l’O.R.T.F.
On peut les voir en deuil d’eux-mêmes sur la couverture de l’édition populaire publiée en 1968 (...)

Cette édition populaire de 1968 est celle du Livre de Poche, qui a publié de 1962 à 1973 une quasi-intégrale Lupin avec une maquette commune, dont la principale caractéristique était l'étrange figure de deux hommes imbriqués l'un dans l'autre, un personnage typique de la Belle Epoque et Lupin, figure présente sur les 3 couvertures données plus haut.
Elle n'a évidemment rien à voir avec les Grégoire et Amédée du roman. S'ils sont effectivement assassinés, dans le quartier de la future Maison de la Radio, ce sont deux personnages subalternes qui ne se connaissent pas. Par ailleurs Cherisey avait adopté le nom de scène Amédée dès 1949, bien avant de former en 1956 le duo avec Dubillard.
Si ceci n'est pas suffisant pour lui contester de s'être inspiré du concierge Amédée Vacherot, l'ensemble de ses déclarations ne semble guère fiable, ainsi Grégoire a bien l’air d’une femme déguisée en homme, et pour cause puisqu'il s'agit de Mme Mosgranem, maîtresse occasionnelle d'Essarès.
Note du 12/4/10 : l'indispensable dp m'a fait connaître Anacharsis à l'exposition, une curieuse oeuvre de Cherisey de 1958, signée Amédée. Le second volume s'achève sur un survol des Amédée dans la littérature, et il n'y est aucunement question du Triangle d'or.
Enfin la question de savoir si Dubillard et Cherisey ont emprunté leurs pseudos au Triangle d'or reste secondaire, surtout parce qu'indécidable, et c'est la suite des déclarations d'Amédée qui débouche sur quelque chose d'extraordinaire :
(...) On peut les voir en deuil d’eux-mêmes sur la couverture de l’édition populaire publiée en 1968, ayant à côté d’eux le méridien 0 sur la carte de France. « Le Triangle d’or » est un bon roman traitant du sacrifice d’un nègre à la Croix-Rouge en 1917. (...)
L’allusion au méridien 0 n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd. Valérien avait insisté auprès d’Amédée pour qu’il la fasse et auprès de Matras pour qu’il lui fasse passer un examen. Sujet pas mal austère que cette ligne imaginaire dont on sait qu’elle est jalonnée par l’observatoire de Paris. Amédée pense s’en tirer par cette anecdote. (...)

Assez étrangement, la figure des deux personnages apparaît sur une carte d'époque, du nord-ouest de la France, alors que le roman se passe presque entièrement à Paris. Si Lupin et Belval suivent une péniche jusqu'à Mantes et Bonnières, ces lieux ne sont pas sur la carte, qui ne montre même pas la totalité du seul triangle lupinien connu, le triangle cauchois, entre Dieppe, Rouen et Le Havre.
S'il y a bien une ligne verticale traversant la carte, un examen attentif (cliquer pour agrandir) permet de voir que ce n'est nullement un méridien mais UN PLI de la carte (il n'y a pas d'autre méridien ou parallèle, et on distingue de nettes distorsions pour tout ce qui croise ce pli, notamment au haut de la carte dont les côtés forment un net angle).
Par ailleurs ce pli ne peut être confondu avec le méridien 0, que Cherisey est tout de même fondé à connaître puisque c'est le "fil rouge" de Circuit, sur la couverture duquel il figure et dont une première version était intitulée Le Méridien Zéro, mais la première curiosité est que le pli se trouve coïncider presque exactement avec le méridien 1 Ouest, par rapport au méridien 0 de Paris.
On peut le vérifier sur cette carte de 1928, Michelin 98-E.R., où apparaissent les méridiens 0, 1 et 2 Ouest.
Il est à peine possible, à cette échelle (cliquer pour agrandir), de différencier le pli (de la carte en couverture du Triangle d'or) du méridien 1. Au mieux je constate que le pli passe juste à gauche du cercle figurant Eu tandis que le méridien passe juste à droite, mais plus bas le pli comme le méridien passent juste à droite des Andelys (car sur cette carte seul le méridien 0 est une ligne droite, mais la projection cartographique semble une question fort complexe, que je n'ai guère envie d'approfondir.)
A noter que bien que le méridien de Greenwich ait été adopté comme référence internationale en 1884, le méridien de Paris est toujours utilisé 44 ans plus tard (et je n'ai pas choisi cette carte par hasard en ma possession).

Je peux maintenant aborder la curiosité majeure : à partir du bas, le pli traverse trois lettres des inscriptions de la couverture, le u de Maurice (grossi deux fois ci-contre), le n de triangle, et enfin le I de LUPIN (anagramme de UN PLI), soit "un" et "I", ce qui serait amusant pour le méridien "un" ou "I". Le pli traverse encore les chevilles de Lupin...
Si ce pli n'est pas le méridien 1, du moins s'y superpose-t-il si exactement que le méridien réel "un" ou "I" traverserait pareillement ces lettres "un" et "I".
Au chapitre XIII de Circuit, Cherisey cite une série de lieux traversés par le méridien 0, commentés selon sa fantaisie usuelle.

Cette coïncidence présente un autre aspect, lequel pourrait éventuellement être intentionnel, mais je n'y crois guère.
Il faut savoir que l'oeuvre de Leblanc a connu une certaine désaffection après sa mort, ainsi ses romans n'ont été réédités après la guerre que dans des éditions pour collectionneurs, et la parution de l'intégrale en Livre de Poche a été un pari hardi, réussi puisque la plupart des volumes sont régulièrement réédités, sous de nouvelles couvertures.
La parution du Triangle d'or en 1968 a donc permis de découvrir ce roman méconnu, dont un prétendu lupinologue averti assurait la médiocrité en 1955 dans Bizarre n°11. Je partage pour ma part le jugement de Cherisey, bien que son résumé lapidaire "le sacrifice d’un nègre à la Croix-Rouge en 1917" soit pour le moins réducteur, sinon totalement trompeur.

Le Livre de Poche est souvent abrégé par les initiales LP (par exemple dans le Code prix qui figurait un temps sur chaque volume), or Lupin apparaît dans le 14e chapitre du Triangle d'or, Un étrange individu, où on n'apprend d'abord que ses initiales, L.P. :
Il l’examina. Mince, les épaules larges, le teint mat, une fine moustache aux lèvres, quelques cheveux gris aux tempes, l’inconnu semblait avoir tout au plus une cinquantaine d’années. La coupe de ses vêtements indiquait un grand souci d’élégance. Il lut aussi les initiales qui ornaient la coiffe d’un chapeau posé sur l’herbe : L. P.
On apprendra ensuite que l'étrange individu est don Luis Perenna (anagramme d'Arsène Lupin), identité conservée par Lupin dans plusieurs aventures ultérieures.
Ainsi pour cette première édition de ce LUPIN en LP, la carte en couverture montre UN PLI traversant les quatre éléments superposés à cette carte, les lettres INU des inscriptions présentes, et Les Pieds de LP...

En cherchant d'autres éditions du Triangle d'or, j'ai trouvé cette image représentant la couverture complète de la première édition en... LP, donc, où il apparaît que la carte se poursuit sur le dos et la 4e de couverture. Comme on n'y voit pas d'autre pli, je suppose qu'il s'agit du seul pli vertical d'une carte de la moitié nord de la France (comme ma carte 98-E.R.), et de fait le méridien 0 n'a d'autre justification que de passer par Paris, tandis que la ligne verticale à mi-chemin entre les longitudes extrêmes de notre territoire est proche du méridien 1.

A propos du jeu UN PLI, il me revient que le physicien David Bohm a forgé les concepts d'ordre implié et d'ordre explié pour décrire l'univers vu comme un hologramme. Sans entrer dans le détail, la couverture du Triangle d'or correspondrait bien à un ordre UNPLIé, et ne pas avoir respecté la confidentialité de ce pli pourrait bien me valoir une EXPLIation éternelle.