samedi 19 août 2017

20 ans après



1920: publication du livre L'île aux 30 cercueils, paru en feuilleton en 1919, où Leblanc semble le premier à imaginer une série de crimes commandée par un texte préexistant. Le criminel est ALEXIS VORSKI, dans le nom duquel se trouvent les lettres  LIVRE (+SIX OAKS, et 4 victimes sont crucifiées sur des chênes).

fin 1939 (novembre): publication à Londres de Dix petits Nègres, où Christie rend visiblement hommage à Leblanc, la série de 10 morts à l'île du Nègre, calquée sur la comptine des Nègres, étant précédée par l'assassinat de Morris sur le continent (et les 10 victimes ont été choisies car jugées responsables de 30 morts en tout).
1940: la parution aux USA du roman, sous un nouveau titre, contrecarre la publication du dernier Queen, lui aussi basé sur des assassinats calquant les comptines de Mother Goose.

1960: Monsieur Cauchemar, où Siniac (alors Signac) semble désigner comme l'étrangleur le bouquiniste ESBIROL, soit LIBROS (+E), auteur du Secret de l'étrangleur, où il a imaginé jadis une série de crimes analogue à celle qui se déroule du dimanche 30 janvier au jeudi 3 février. Voici les noms des victimes, mais il faut attendre le livre de Peeters en 1980 pour donner du sens aux lettres soulignées  :
  MALINGUET le 30/1
  GOUVERNEUR (LE) le 31/1
 JAVARD     le 1/2 
 BLEUET     le 2/2 
BERGEL      prévu le 3/2 par l'étrangleur qui est en fait
DIEUBATTU   qui est en fait tué par Esbirol, avec Francinet et les flics témoins.
La fin n'est pas très claire, surtout que Signac en propose 3. Le vrai étrangleur était Dieubattu, ancien ami d'Esbirol.

1980: les 3 premiers livres de Pierre Signac n'avaient guère attiré l'attention à la fin des années 50, mais en 80 Siniac s'est fait un nom et Monsieur Cauchemar est alors réédité sous ce pseudo définitif aux éditions Néo , tandis que paraît La Bibliothèque de Villers, de Peeters, où une mystérieuse série de crimes frappe la ville de Villers, tous les 25 jours. Après les 4 premiers meurtres, on soupçonne fortement le bibliothécaire Lessing, lequel prépare un roman décrivant une série de crimes similaires, imputée à un certain Rivelle, mais Lessing est assassiné à son tour, complétant significativement la série des victimes :
IVAN     IMBERT
VIRGINIE VERLEY
RENE     ROUSSEL
EDITH    ERVIL
ALBERT   LESSING assassin supposé, dernière victime
La fin n'est encore guère représentative du polar traditionnel, et c'est au lecteur qu'il appartient de découvrir que l'assassin est le LIVRE (ou LE LIVRE anagramme de RIVELLE). Les prénoms et noms des 4 premières victimes donnent la séquence IVRE, le L initial étant donné par Lessing, l'initiale A de son prénom ne devant encore rien au hasard : elle indique qu'il est le départ comme l'aboutissement de la série.
Il est hallucinant de retrouver la séquence IV-RE-LA dans l'ordre, parmi les 5-6 victimes de Monsieur Cauchemar. Ce n'est certes pas aussi immédiat que chez Peeters, où l'intentionnalité est assurée: il faut prendre les 4es lettres des deux premiers noms, les 5es des deux suivants, et les 6es des deux derniers, ce qui présente tout de même une certaine logique, d'autant que chacune de ces paires a sa spécificité dans le récit. Il est frappant que ce soient les 4es lettres de la première paire qui donnent IV (4 en chiffres romains, tandis que les 4 premières victimes tuées aux 4 coins de Villers pouvaient former l’acrostiche vier, « quatre » en flamand, seconde langue de Peeters), et que la dernière victime variable permette l'alternative AL effective chez Peeters. Enfin Esbirol est comme Lessing non seulement quelqu'un qui s'occupe de livres, mais qui se mêle d'en écrire. "Tu vois, moi aussi, j'ai des lettres !" dit Esbirol au jeune Francinet, ce qui pourrait être une allusion aux lettres de son nom pouvant former le mot LIBRO(S), comme tous les noms propres de La Bibliothèque de Villers ont quelque chose à voir avec le mot LIVRE.
Le court roman de Peeters parodie Dix petits Nègres, notamment par des allusions répétées au noir (de l’écrit) et au blanc (de la page). Cette même année 80 a vu la parution d'une autre parodie littéraire de Dix petits Nègres, utilisant notamment les allusions noir/blanc, Comptine des Height de Lahougue. La coïncidence a alors été remarquée, mais j'en ai vu une qui me semble bien plus remarquable entre l'œuvre de Lahougue, suite de crimes dans la famille Height faussement attribuée au jeune John Height qui, arrêté, se suicide en prison, et le roman de Queen qui a remplacé celui de 40 dont la parution a été retardée à 43 du fait de sa ressemblance avec Dix petits Nègres : dans La Ville maudite, paru en 42, deux crimes dans la famille Haight sont attribués faussement au jeune Jim Haight qui, arrêté, se suicide en prison. Jean Lahougue m'a certifié ne pas avoir lu ce livre, ce qu'il est plus facile de croire quand on sait que John Height est la version anglaise de son propre nom.

2000: Borges et les orangs-outangs éternels, du brésilien L. Verissimo. Les crimes du roman de Peeters ont une distribution géométrique parodiant la célèbre nouvelle La Mort et la boussole (1942, comme La Ville maudite), et Borges est ici enquêteur éventuel d'un crime incertain dont les indices variables pourraient l'accuser, selon leur 5e et dernière interprétation, le losange.
Les deux premières interprétations de l'indice principal étaient les lettres X et O, accusant deux autres personnages prénommés Xavier et Oliver. Je remarque, dans la stupeur la plus extrême, que les lettres complémentaires de ces prénoms correspondent, dans le désordre, aux séquences IVREA et IVREL formées par les prénoms et noms des victimes de Peeters.
En 2000 est encore paru La Maison des feuilles, de Danielewski, exploration littéraire contée par trois narrateurs, dont une certaine Pelafina Heather Lièvre (en français dans l'anglais original, HEATHER étant l'anagramme de THE HARE, "le lièvre"). Une coquille intentionnelle, soulignée par un [sic] constituant une nouvelle interrogation pour le lecteur, la désigne une fois sous le nom Ms. Livre. Le titre exploite la polysémie du mot "feuille" (plus riche d'ailleurs en anglais), cette "maison" pouvant fort bien être le livre lui-même, or la bouquinerie de Monsieur Cauchemar se situe rue des Feuillantines, et Esbirol l'a nommée A l'In-folio des Feuillantines. Comme il l'a été vu plus haut, ESBIROL a un E de trop pour former l'anagramme LIBROS, "livres", et le jeu avec "lièvre", LIEBRE en espagnol, n'est pas impossible.
Puisque l'espagnol est convoqué, 2000 est aussi la date de parution d'un polar littéraire presque ultime, La Caverne des idées de Somoza, enquête sur le manuscrit "La Caverne des idées", enquête de Héraclès Pontor sur une série de crimes dans la Grèce antique... Comme dans La Maison des feuilles, les notes de bas de page sont essentielles, leur longueur dépassant souvent celle du récit primaire.
Et c'est encore l'année de parution de La Mort des neiges, de Brigitte Aubert, seconde aventure de son héroïne tétraplégique Elise, narratrice. Un autre degré dans le livre devenant réalité car B* A*, l'écrivain qui a publié sa première aventure, lui a imaginé une suite accumulant crimes et horreurs divers, mais son manuscrit est tombé entre les mains d'une bande de dingues qui s'appliquent à le mettre en oeuvre point par point...
Enfin mon unique roman publié est paru en novembre 2000, Sous les pans du bizarre, dans la collection Gondol voulue d'emblée intertextuelle par son créateur, JB Pouy, tous les ressorts devant provenir de LIVRES, réels ou non. Mes goûts m'ont porté tout naturellement à imaginer une série de crimes répartis logiquement dans le temps et dans l'espace, avec de multiples coïncidences développées ailleurs, mais je ne crois pas avoir encore relevé un point qui ferait le lien avec le premier livre de ce réseau intertextuel, L'île aux 30 cercueils, qui commence par une lettre du détective de l'agence DUTREILLIS, dans laquelle il informe Véronique d'Hergemont qu'il a achevé la double mission qu'elle lui a confiée, dont une partie consistait à retrouver l'endroit du tournage d'un film où Véronique avait vu sur une porte l'inscription V. d'H., exactement conforme à sa signature de jeune fille. J'ai vu dans cet achevé une possible allusion aux initiales HV, qui pourraient de plus commander la succession des 30 meurtres qui vont frapper l'île, répartis en Vingt-deux + Huit (les deux seuls nombres cardinaux correspondant au rang ordinal de leurs initiales).
Bref, Pouy a tout naturellement décidé que le héros de sa collection métatextuelle serait un libraire, et il a sis sa librairie rue BEAUTREILLIS, probablement selon une démarche identique à celle qui a conduit Leblanc à nommer son détective DUTREILLIS, mais Pouy aurait-il eu cette idée s'il n'avait habité à deux pas de la rue BEAUTREILLIS ?

Je dois encore préciser que je n'ai jusqu'ici pas orienté mes lectures selon un critère de publication vigésimale. J'ai donc cité 10 titres parus en 20-40-60-80-00, qui ont tous en commun une série criminelle calquée sur un texte préexistant. Il faudrait peut-être affiner un peu mieux, tenir compte que 10 petits Nègres est paru à Londres en 39, mais la parution en 40 aux USA sous un nouveau titre lui vaut au moins une demi-mention, qui pourrait être complétée par la réédition en 80 sous le nom de Siniac de Monsieur Cauchemar de Signac.
Je connais bien évidemment d'autres oeuvres qui pourraient répondre à cette définition, mais je serais bien en peine d'en trouver les 190 qui équilibreraient les 10 "vigésimaux", d'autant qu'il me semble probable que ma liste comporte des oublis, parmi les oeuvres que je connais, dont je n'ai pas vérifié les parutions.
La plupart des textes essentiels semblent en effet obéir à ce critère de parution vigésimale. Je regrette cependant de n'avoir aucun Queen dans cette liste, les années 40 et 60 ayant été "blanches" malgré une production importante pendant plus de 40 ans (je rappelle tout de même qu'il aurait du paraître en 40 Il était une vieille femme, retardé à cause de 10 petits Nègres). Je le regrette d'autant plus que 20 semble un nombre fétiche pour Queen, comme la lettre T (Twenty étant en anglais le seul nombre cardinal correspondant au rang ordinal de son initiale).

A suivre, j'espère avant 2020...

Je ne croyais pas si bien dire. J'ai rédigé ce qui précède les 29 et 30 janvier, après avoir vu le jour précédent les possibilités de relier Monsieur Cauchemar à une série de livres qui m'intéresse depuis longtemps, et j'ai remarqué à cette occasion la prépondérance des dates vigésimales de parution de ces textes.
Ce 28 janvier Arte diffusait La mariée était en noir, de Truffaut, que je voulais voir. Reprenant le roman original de Cornell Woolrich pour vérifier les distorsions opérées par Truffaut, j'ai vu que The Bride wore black avait été publié en 40, et que c'était le premier roman policier signé Woolrich, qui jusqu'ici avait publié des romans littéraires signés Irish et des nouvelles.
C'était par ailleurs le premier roman d'une série de 6 contenant tous black dans leurs titres, ce que je mets en parallèle avec le Nigger du titre de Christie Ten little Niggers qui a été censuré aux USA, transformé en And then there were none. Bien qu'aucune influence ne puisse être suspectée, il y a des ressemblances entre les deux histoires, séries de meurtres incompréhensibles, alors que les serial killers étaient encore rares dans le genre. Les points les plus troublants sont les ressemblances avec des parodies de Dix petits Nègres.
Ainsi Peeters a limité son roman à 5 meurtres, essentiellement parce que le mot LIVRE a 5 lettres, le dernier, particulier, étant celui du bibliothécaire-écrivain Lessing. La vengeresse de Woolrich a aussi une liste de 5 hommes à abattre, ce qui a donné lieu à une construction en 5 parties, comme chez Peeters. La police a compris après le 4e meurtre le lien unissant les victimes, et elle tend un piège à la tueuse en remplaçant le dernier homme, un écrivain précisément, par un flic. Je ne sais pas si ce point est suffisant pour classer le Woolrich parmi les polars intertextuels, mais il y a une similitude confondante avec un polar intertextuel de Queen, lequel parodie de plus vraisemblablement aussi Dix petits Nègres, avec le nombre de victimes respecté. Cette similitude est peut-être intentionnelle, car Woolrich était l’un des auteurs phares de la revue EQMM.
La tueuse se fait donc passer pour une dactylo afin d’approcher l’écrivain, pour le tuer, et tombe dans le piège tendu. Après les meurtres mystérieux de 9 personnes dans Griffes de velours (1949), Queen comprend la relation les unissant, et est à même de protéger la 10e victime, une dactylo, en la remplaçant par une fliquette. Le tueur présumé approche la dactylo supposée en se faisant passer pour un écrivain qui a besoin de faire taper au plus vite les deux derniers chapitres de son roman, et il tombe dans le piège au 10e chapitre de Griffes de velours, qui aurait dû être le dernier chapitre d’un polar classique… Mais chez Queen il va encore s’agir d’un faux tueur, qui avait compris que la police était sur la bonne voie, et qui entendait protéger le vrai coupable en se substituant à lui. Queen aura besoin de deux chapitres supplémentaires pour découvrir l’ultime vérité…
Il y a aussi un retournement final chez Woolrich, que Truffaut a omis. Arrêtée, la tueuse explique aux flics le motif de sa vengeance, et apprend alors que ceux qu’elle a éliminés étaient innocents du meurtre de son mari. Un prodigieux hasard l’avait aiguillée sur une fausse piste, et un autre prodigieux hasard a fait que son action a néanmoins permis de découvrir le véritable coupable…
Par ailleurs le scénario de Woolrich a été suivi assez fidèlement par Truffaut, sauf en ce qui concerne le 5e meurtre et le personnage de l’écrivain Holmes. Truffaut en a fait un ferrailleur malhonnête nommé Delvaux, dont il a confié l’interprétation à un authentique écrivain, Daniel Boulanger ! Il arrive en 4e sur la liste de Julie Kohler, mais la police empêche sa tentative en arrêtant Delvaux pour ses malversations. Julie se laisse arrêter après l’exécution suivante afin de pouvoir approcher Delvaux en prison…

Je reviens sur le motif de la série « 4+1 morts », la dernière étant spéciale. J’avais remarqué plus haut les similitudes entre Monsieur Cauchemar (60) et La Bibliothèque de Villers (80), mais ce motif est aussi celui de Sous les Pans du bizarre (00), que j’ai écrit sans connaître ces livres. Mes morts offrent plutôt un schéma 3-1-1, 3 meurtres gouvernés par le temps et l’espace mènent à un suspect que les enquêteurs trouvent mort ; un piège est tendu à un autre suspect, mais celui-ci se suicide en complétant le schéma spatio-temporel esquissé par les 3 premiers crimes. Le libraire enquêteur Gondol hésite à formuler une dernière hypothèse, qu’il gardera pour lui : le coupable est Pouy, soit celui qui a imaginé le concept de la collection Gondol… Selon ce concept où tous les ressorts devaient provenir de textes, j’avais choisi d’innocenter le dernier suspect par le programme d’un séminaire où il assistait lors du premier meurtre, et ceci jouait au second degré car répétant à l’identique la façon dont Queen innocentait le suspect des 9 crimes de Griffes de velours.
Voilà donc 4 romans avec un motif « 4+1 morts », publiés en 40-60-80-00, et je peux aisément envisager 4+1 romans puisque les 30 morts de L’île aux 30 cercueils (20) se répartissent en sous-groupes, le plus marquant étant les quatre femmes en croix commandées par le texte suivi par le criminel, en l’an quatorze et trois. Vorski crucifie donc 4 femmes, le dernier soupir de la dernière correspondant en principe à l’achèvement du programme qu’il s’était fixé pour obéir à une antique prophétie, mais la suite ne répond pas à son attente : au lieu d’accéder à la puissance absolue il tombe aux mains de Lupin qui le crucifie à son tour pour lui faire avouer où il a caché un prisonnier. Si Lupin laisse finalement la vie sauve à Vorski, c’est ironiquement parce qu’il fait confiance à une autre prophétie prédisant sa mort, qui se réalise effectivement…

J’ai donc mes 4+1 romans intertextuels, publiés en 20-40-60-80-00, contenant le motif « 4+1 morts », 4+1 romans car le fait que la 5e victime de La mariée était en noir soit un écrivain est un peu léger pour le classer comme intertextuel. En passant, 20 c’est 4 fois 5, et 5 c’est 4+1…
En déplaçant le critère de parution vigésimale au motif « 4+1 morts », j’ai beaucoup plus de difficultés à trouver des clients qu’avec le critère d’intertextualité, d’une imprécision aisément extensible à beaucoup de fictions. Certes la popularité des serial killers a dû multiplier les séries de 5, mais je me suis lassé du genre depuis une bonne décennie et ne connais donc guère les parutions récentes. Le premier titre qui me vient à l’esprit est, évidemment, Monsieur Abel, de Demouzon, parce que j’y ai vu un beau schéma que Demouzon n’a pas reconnu comme intentionnel : cet ABEL, retraité dont on ne connaît que ce (pré)nom, décèle une série criminelle dans les morts qui surviennent dans sa petite ville, et ces morts se prénomment Augustin-Bernard-Elisabeth-Liliane, initiales ABEL ! Abel vient accuser celui qu’il estime responsable de la machination, lequel a tôt fait de lui démontrer l’inanité de sa construction : il a pris pour des meurtres un suicide, un accident et une mort naturelle, et c’est son enquête qui a provoqué l’assassinat effectif de Liliane… Abel rentre chez lui et se pend (comme la dernière victime de Dix petits Nègres).
Monsieur Abel est paru en 79, mais la consultation des parutions de Demouzon me livre une paire immédiatement significative, Quidam en 1980 et La Promesse de Melchior en 2000. Je commence par ce dernier, que Demouzon a d’abord intitulé Melchior et le fil bleu, en référence au fil rouge, ou point commun d’une série quelconque. C’est une affaire de serial killer, que j’ai néanmoins lue par fidélité à l’auteur, où le tueur est un nommé Wolf (loup) qui mord ses victimes après les avoir entravées avec de la corde bleue. Le lecteur ne connaîtra que les noms de 3 de ses victimes, Pontel-Richeaume-Ogier, dans cet ordre, où je lis dans l’épellation des initiales P-R-O Perrault. Un loup qui mord les petites filles, du fil bleu par opposition au rouge, j’ai pensé au Petit Chaperon rouge et je n’ai plus douté après avoir découvert l’exacte anagramme « Le Chaperon rouge imité » des lettres « Pontel-Richeaume-Ogier », et « Richeaume » seul donne la « chaumière » de la grand-mère...
J’ai rencontré Demouzon qui a entièrement démenti cette lecture, et déclarer choisir les noms de ses personnages dans l’annuaire, en changeant d’initiale à chaque fois (ce qui explique P-R-O !) Ma lecture l’a néanmoins frappé, si bien qu’il m’a rendu hommage dans Melchior en Automne où le commissaire rencontre la sœur de la Richeaume assassinée par Wolf, qu’il compare à un petit chaperon rouge…
Quidam est un roman labyrintho-crépusculaire où il est difficile de trouver un fil conducteur, qu’il soit rouge ou bleu, premier d’une série de polars expérimentaux qui a fait perdre à Demouzon une bonne partie de son lectorat. Il y a néanmoins une certitude, confirmée explicitement par le texte et les commentaires de l’auteur, c’est une transcription moderne de la Belle au bois dormant, l’autre grand conte de la Mère l’Oye, de Perrault… Il pouvait y avoir une allusion à Barbe-Bleue, inspiré par Gilles de Retz, dans La Promesse de Melchior, débutant au pays de Retz.
Le roman est si complexe que le nombre de morts y est peu assuré, au moins 5 cependant, ainsi que l’identité des coupables. En curieux écho à la coïncidence de la dactylo entre La mariée était en noir et Griffes de velours, la Belle au bois dormant, première victime, est une dactylo bilingue, ou du moins quelqu’un qui postule à ce poste, puisque ce serait en fait une folle au parcours chaotique…
A propos de ce poste de dactylo bilingue, Demouzon emploie l’expression « mettre les bouchées doubles », ce qui pourrait être une excellente astuce, d’autant que pratiquement tous les personnages du roman ont une double personnalité.
Le personnage principal, Raimbault, est lui aussi un être dissocié, qui n’est en fait pas « Raimbault »… Demouzon affirme dans sa postface qu’il n’a pas songé au « Je est un autre » de Rimbaud, ce qui commence à faire beaucoup de coïncidences inconscientes. J’y ajoute que ce pauvre Raimbault se retrouve chargé de tous les crimes alors que le principal artisan (de 4 sur 5 !, si j’ai bien compris) en est le commissaire Ortensia, un nom évocateur pour les rimbaldiens (l’énigmatique poème H des Illuminations) et pour les lupiniens (le fait que le nom Hortense ait huit lettres et débute par un H semble gouverner l’ensemble du recueil Les Huit Coups de l’horloge).

Côté Rimbaud, un roman de la collection Gondol est intitulé Hortense Harar Arthur… Revenir à la collection Gondol m’amène à l’autre titre de 2000, le roman de Pouy paru en même temps que le mien, 1280 âmes, et ce livre vient compléter idéalement la série des 4+1 polars basés sur 4+1 morts, sans constituer un 6e côté du pentagone ou plutôt une seconde unification du quaternaire, puisqu’il s’agit dans ce roman de ressusciter 5 âmes, celles qui ont disparu dans la traduction de Pop 1280, devenu en français 1275 âmes.
Le motif 4+1 est ici particulièrement indiscutable, car Gondol, après avoir sillonné les USA où il n’a retrouvé trace que de 4 âmes disparues, décrète que la dernière est le Christ, auquel s’identifie le shérif de Pottsville, Nick Corey.
Curieusement, la dernière victime, involontaire, de la vengeresse de La mariée était en noir, est le réel assassin de son mari, également nommé Corey.
Il pourrait y avoir encore une coïncidence de parution avec La Maison des feuilles, la même année, qui dans une annexe présente 4 documents numérotés 175079, 001280, 046665, et 081512. Il est certain que le dernier numéro se lit 08-15-12, soit les rangs des lettres H-O-L, acronyme du titre original House Of Leaves. Il est probable, à moins que ce ne soit une nouvelle fantastique coïncidence, que 046665 soit une allusion à Pi, film marginal de Darren Aronofsky (1998), qui s’achève sur deux opérations dont les résultats sont 46665 et 3,14…, soit pi, le titre de l’œuvre). Attendu que Danielewski a résidé longtemps en France, il ne serait pas impossible que 001280 soit une allusion à la traduction kleptomane de Pop 1280, célèbre en France longtemps avant que Pouy propose sa variation sur le sujet.
  
Rémi Schulz, le 01/02/08
Un prolongement ICI